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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 16 décembre [18]63, mercredi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon cher petit Gribouille [1], physiquementa et moralement parlant, bonjour, comment que ça va ce matin ? Avez-vous bien pioncé toute la nuit comme votre très humble Juju laquelle ne pouvait même pas encore ouvrir les yeux tout à l’heure ? Pourquoi mettez-vous votre lit sous la brume et le brouillard ce matin puisque vous ne l’avez pas mis hier pendant toute cette belle journée claire, sèche et chaude ? [illis.] hygiène c’est faible et Gribouille lui-même critiquerait cette action pleine de rhumatismes, de CRYPTOGAMES et de FUNGUS [2]. Quant à moi qui n’ai aucune influence sur votre esprit, je bisque, je rage et je mange du fromage [3]… mauvais, ce qui n’est pas une consolation. Dans ce moment-ci je supporte sans avoir l’air de m’en apercevoir une humeur carabinée de ma sœur à propos du bonnet qu’elle a fait faire hier par Marie Turpin. Déjà elle avait eu maille à partir avec les marchands sur la cherté de son tulle et de son ruban. Mais aussi pourquoi vient-elle avec un bonnet sale et le tout à l’avenant. THAT IS THE QUESTION où [l’harpagonnerie  ?] pourrait bien dire son petit mot. Quant à moi j’ai l’air de ne pas comprendre et je me renferme dans une parfaite indifférence, sachant de reste que cela n’a pas l’importance sur la bourse qu’elle veut le dire. Je comprends la simplicité, moins la saleté, et l’économie, moins l’avarice, et voilà mon histoire. Je te dis ces pauvretés suivant mon habitude, mon cher bien-aimé, comme si tu étais là et que je te parle, mais en réalité il vaudrait mieux pour toi que je te parle de choses plus intéressantes et plus aimables. Je t’aime, mon cher adoré, je t’aime de plus en plus sans t’avoir jamais aimé moins. Je t’aime, je t’aime, je t’aime.

J.

BnF, Mss, NAF 16384, f. 284
Transcription de Gérard Pouchain

a) « phisiquement ».

Notes

[1Le conte de George Sand, publié en 1851, Histoire du véritable Gribouille, comprend deux parties : « Comment Gribouille se jette dans la rivière par crainte de se mouiller » et « Comment Gribouille se jette dans le feu par crainte d’être brûlé ».

[2Synonyme de champignon.

[3Juliette Drouet emploie souvent cette expression qui s’inspire d’une formule enfantine (« Bisque ! Bisque ! Rage ! ») destinée à faire enrager un adversaire et à s’en moquer. « Bisque, bisque, rage, / Mange du fromage » est le début d’une comptine.

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