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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 mai 1849

14 mai [1849], lundi matin, 6 h. ½

Bonjour, mon doux bien aimé, bonjour, mon pauvre petit souffrant, bonjour, comment as-tu passé la nuit ? J’espère que tu auras bien dormi et que tu n’auras plus ressenti aucun symptôme inquiétant depuis que je t’ai quitté ? Vilain m’a dit qu’il t’avait trouvé en bonne disposition et que tu paraissais très bien, ce qui m’a causé une grande joie car je t’avoue que j’étais très tourmentée. Enfin, grâce à Dieu et à mon bouillon, tu vas mieux et j’espère que tu iras tout à fait bien tantôt. J’aurai le courage de ne pas envoyer chez toi Suzanne ce matin parce que je ne veux pas abuser de cette ressource, ensuite parce qu’Isidore la connaît déjà et que je veux appeler son attention le moins possible ; et puis enfin parce que je suis presque tranquille et que je crois, à force d’amour, te préserver de tout mal sérieux. C’est aujourd’hui que ton affaire se décide, mon cher petit représentant, mais ce n’est que dans deux jours que nous serons édifiés à ce sujet. D’après les on dit, d’après la raison et la justice, surtout, tu devrais être élu par toutes les bouches, par tous les votes et par tous les cœurs à la fois [1]. Mais dans les choses humaines, ce dont on tient le moins de compte, c’est de la raison et de la justice. Aussi, je ne serai sûre de ton élection que lorsqu’elle sera officiellement reconnue. Jusque-là, je crains toutes les stupidités et toutes les ingratitudes habituelles des Parisiens. J’avoue que je n’aurais pas le courage de leur en vouloir si cela ne pouvait pas compromettre la tranquillité du pape en général et la tienne en particulier, qui m’est plus chère que tout le monde entier. C’est à ce point de vue seulement que je désire le succès de ton élection. Et c’est pour mon bonheur personnel que je t’adore.

Juliette

MVHP, MS a8205
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine


14 mai [1849], lundi matin, 11 h.

Peut-être ferais-tu bien, mon cher petit homme, de ne pas sortir aujourd’hui à cause du temps maussade et humide qu’il fait. Si tu m’en croyais, mon doux aimé, tu viendrais te reposer auprès de moi aujourd’hui et tu n’irais pas à cette assemblée plus qu’à moitié détraqué [2]. Ce serait un acte de prudence qui, dans tous les cas, ne pourrait porter aucun préjudice au pays car il est peu probable qu’on s’occupe ces derniers jours de choses importantes ? Du reste, j’en parle un peu comme les aveugles des couleurs et avec mon bon sens de Juju qui ne doit pas être celui de la république et de ses augustes représentants. Dans ce cas, je m’incline tout en persistant à trouver que c’est imprudent à vous de sortir aujourd’hui par la pluie pour aller vous enfermer tout le reste de la journée dans un endroit nauséabond et malsain. Je proteste contre ce devoir mal entendu et je m’insurge contre cet excès de zèle imprudent. Je ne peux pas faire plus malheureusement même si vous étiez raisonnable, et si vous aviez le moindre sentiment de votre conservation et de ce que vous me devez à moi, pauvre femme dont la vie est attachée à la vôtre, vous n’iriez pas dîner chez votre beau-frère ce soir. Mais, hélas ! tout ce que j’en dis et puis rien, voilà l’effet que cela vous fera et vous n’en ferez que plus à votre tête au risque de vous faire beaucoup de mal. Tout ce que je peux faire, c’est de prier le bon Dieu de vous garder de toutes mauvaises chances et puis de vous aimer, de vous aimer et de vous aimer encore. Mon influence se borne là et ne peut pas aller plus loin. Mon Victor adoré, sois prudent, soigne-toi, pense à moi et aime-moi. De mon côté je t’adore.

Juliette

MVHP, MS a8206
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine


14 mai [1849], lundi soir, 8 h. ½

Si tu veux que je ne sois pas triste, mon bien-aimé, il faut que tu ne sois pas souffrant ; et si tu veux que je sois gaie, il faut que tu m’aimes. Autrement, je persiste à être une Juju très inquiète et très malheureuse. D’ailleurs, mon pauvre ange, toute inquiétude cessante pour ta santé, je ne vois pas ce qu’il y a de si drôle dans la situation présente et je t’avoue que, tout bien considéré, je n’ai pas le courage d’en rire. Il suffit que j’entrevoie la possibilité d’un seul coup de fusil pour être la plus malheureuse des femmes. J’ai vu de trop près les barricades de juin et ceux qui les gardaient pour n’être pas très effrayée par la seule pensée d’en revoir une seconde représentation. Aussi, je ne serai tranquille que lorsqu’il n’y aura plus aucune révolution dans l’air. Hélas ! Quand ? Quand arrivera cette bien heureuse tranquillité ? À l’exception du bon Dieu, personne ne le sait. Cependant, mon pauvre adoré, il dépend de toi de me redonner du courage et de la confiance. Pour cela, je te le répète, il faut te bien porter et m’aimer. Mais j’y pense, mon amour, auras-tu eu le temps de rentrer chez toi avant d’être mouillé ? Justement, tu avais pris le chemin le plus long dans le moment où il aurait fallu éviter la pluie battante qui commençait à tomber. Enfin, pourvu que tu aies pu arriver chez toi avant la grande ondée et trouver tout de suite du feu et des habits secs, ce ne sera que demi mal. Du reste, tu sais, mon bien aimé, que ce qu’il faut éviter par-dessus tout, c’est le froid et l’humidité ? Soigne-toi, mon adoré, ne te fatigue pas, couche-toi de bonne heure et aime-moi un peu.

Juliette

MVHP, MS a8207
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

Notes

[1Les élections législatives ont eu lieu le 13 mai 1849. Hugo y sera élu 10e avec 117 069 voix.

[2Les élections législatives ont eu lieu le 13 mai 1849. Hugo y est élu 10e avec 117 069 voix.

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