10 mai [1849], jeudi matin, 7 h.
Bonjour, mon Toto, bonjour, mon tout adoré, bonjour. Comment vas-tu ce matin ? Moi je vais bien. Je viens de m’informer de la pauvre femme malade, il paraît qu’elle est au plus mal [1]. Dans un moment il y aura une consultation de médecins. Son mari est mort dans des convulsions affreuses. Il n’avait que 27 ans, elle en a 22 et ils s’adoraient. Si cela est vrai, je trouve que le bon Dieu lui ferait une belle grâce de l’emporter tout de suite et de rendre ces deux âmes l’une à l’autre. Il paraît que ce petit cul-de-sac et la maison no 10 qui en fait le coin sont pleins de cholériques. La mère Triger avait raison quand elle disait que nous étions cernés par le choléra. Quant à moi, je serai d’avis que tu t’abstinsses de venir dans ma maison tout le temps que cette pauvre femme y sera. D’abord je crois que la crainte de compromettre ta vie me donnerait seule le choléra. Ainsi tu vois, mon adoré, qu’il vaut mieux que tu ne viennes pas dans mon atroce rue tout le temps que l’épidémie y règnera. Tu me donneras rendez-vous où tu voudras pourvu que ce ne soit pas dans une église, car alors la précaution ressemblerait trop à celle de Gribouille qui se fourre dans l’eau, peur de la pluie. Tantôt nous aviserons à résoudre cette difficulté. D’ici là, je t’aime avec toutes mes forces, tout mon esprit, qui n’est pas fort, tout mon cœur et toute mon âme et je te baise depuis A jusqu’à Z. Tâche de venir de bonne heure, pense à moi, plains-moi et aime-moi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16367, f. 133-134
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse