27 septembre [1837], mercredi, 1 h. ½ après midi.
Mon cher petit homme bien aimé. Apportez-moi donc le canif [1]. Je ne sais plus de quel côté tourner ma plume pour pouvoir vous écrire. C’est encore sur le dos qu’elle fait mieux son affaire en sa qualité de femelle. Pensez-vous aux livres encore ?a dit Toto. Toujours dit Juju. J’irai même vous tirer par les pieds chez vous jusqu’à ce que vous les ayez envoyés chez le relieur [2].
Je vous aime mon cher petit Toto. Peut-être parce que vous avez été ce matin méchant comme un âne ROUGE [3]. Mais ne vous y habituez pas cependant et tâchez de nous conduire ce soir à Saint-Antoine [4]. Cette pauvre petite fille n’aura été qu’une fois au spectacle pour toutes les vacances [5]. En vérité ce n’est pas assez. Et puis tu as encore oublié de me faire la loge de Mme Krafft [6]. Je l’aurais envoyée tantôt. Je suis vraiment très vexée. Quel affreux Toto vous faites. On ne peut pas JOUIR de vous dans aucun sens. Aussi je vous planterai là NET COMME DOMINUS [7].
Je vous aime, c’est bien vrai et vous le savez trop, c’est ce qui vous permet de me faire enrager comme un chien. Jour mon petit o, jour mon gros To. Je vous aime de tout mon cœur, de toutes mes forces et de toute mon âme. À bientôt mon amour.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 213-214
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) Pour la clarté du sens, nous avons déplacé le point d’interrogation qui, chez Juliette, se trouve après « Toto ».
27 septembre [1837], mercredi soir, 7 h.
Nous voici revenus mon cher bien-aimé, et moi bien fâchée de t’avoir fait dépenser de l’argent inutilement. De reste, Claire est bien gentille et bien raisonnable pour cela. Moi je t’aime plus que jamais et si j’étais sûre de vous donner à souper ce soir n’importe à quelle heure, je serais la plus heureuse des femmes.
Pauvre bien-aimé, vous allez donc faire une nouvelle merveille. J’en suis ravie d’avance et triste au fond du cœur car outre que votre travail va prendre tout votre temps et absorber toutes vos pensées, j’aurai le chagrin de n’y pas jouer [8]. Je vous assure, mon pauvre ange, qu’il faut vous aimer comme je vous aime pour souffrir autant et vous aimer encore plus que de toute mon âme pour le supporter. Cher adoré, viens te reposer cette nuit auprès de moi, AUTANT MOI QU’UN AUTE [9]. Soir pa, soir man. Mon oie sera bientôt rôtiea. Il ne manque plus [que] vous pour compléterb la [collection ? collation ?]. Il est vrai que vous n’êtes pas anthropophage comme moi et que vous refuseriez de manger d’un des membres de l’Académie des Jeux floraux [10] et autres. Je vous aime, mais j’ai une très mauvaise plume. C’est probablement mon oie qui se venge en attendant que je la mange en me faisant écrire après sa mort toutes les bêtises qu’elle a pensées pendant sa vie. Mais ça m’est égal, je vous aime encore plus.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 215-216
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « rôti ». Juliette utilise le mot « oie » au masculin : nous avons corrigé sans signalement le genre des pronoms qui y réfèrent dans la suite de la lettre.
b) « completter ».