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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 juin 1863

Guernesey, 26 juin [18]63, vendredi après-midi, 2 h. ¼

Tant que tu m’aimeras, mon doux adoré, je resterai là. Ton amour est la seule attache qui me retienne à la terre. Si tu cessais de m’aimer, ou si tu m’aimais moins, ce qui est la même chose, je prierais Dieu de tuer du même coup mon corps et mon âme car je ne comprends aucune existence sans ton amour. Cela ne veut pas dire que je veuille m’imposer à ton cœur, mon pauvre trop aimé, cela veut dire tout simplement que j’aime mieux mourir de toutes les morts à la fois que de survivre, pour si peu que ce soit, à ton amour comme je le comprends, absolu, entier, exclusif comme le mien, les affections naturelles sauvegardées et augmentées même par le rayonnement de cet amour quasi divin. Tu sais combien j’ai de peine à formuler ma pensée, mon cher adoré bien-aimé, parce que tout mon cœur voudrait s’épancher à la fois et dans un seul mot : je t’aime. Dès que je sors de ce laconisme passionné je ne sais plus ce que je dis ni ce que j’écris. J’ai beau tourner ma langue et ma plume sept fois, j’en reviens toujours à ce mot polaire de mon âme : je t’aime. C’est avec ce mot que je dirige ma vie et que j’espère traverser l’éternité sans faire fausse route. Ma pensée et mon cœur ne le perdent jamais de vue. Je t’aime, c’est la barque et la voile, je t’aime, c’est [illis.]. J’espère, mon pauvre bien-aimé, qu’aucun de tes redoutables pressentiments ne se réaliseraa et que tu auras bientôt la douce consolation de savoir ton enfant bien-aimé heureuse autant que tu le mérites [1]. Encore un peu de courage et de patience, mon pauvre tourmenté, et tu auras la certitude du bonheur de ta fille. Jusque-là, ton Charles, ton Victor redoubleront d’amour pour que tu ne sentes pas trop la lacune momentanée dans tes affections de famille, et moi, mon adoré, je prierai Dieu pour vous tous de toute la force de mon âme.

BnF, Mss, NAF 16384, f. 168
Transcription de Gérard Pouchain
[Souchon, Massin]

a) « réaliseront ».

Notes

[1L’avant-veille, la fille de Hugo Adèle, depuis Londres, a fait demander à Hugo, via François-Victor, de l’argent en vue de son prétendu mariage avec le lieutenant Pinson, et le consentement paternel. Hugo, qui a demandé à sa femme de rejoindre leur fille à Londres pour s’enquérir de la situation, donnera son consentement, mais ses pressentiments se réaliseront : le lieutenant Pinson n’a nulle intention d’épouser Adèle, qui le suivra vainement à travers les mers d’une garnison à l’autre, et en perdra la raison.

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