Jersey, 25 juillet 1855, mercredi après midi, 2 h. ¾
Je serai assez en train de sortir aujourd’hui, mon cher petit homme, et d’aller me faire éventer avec toi sur la colline si tu avais le temps et le besoin de te prêter à cette envie-là, ce dont je doute car tu as toujours plus de chiens à fouetter que de minutes à donner à nos chères petites promenades traditionnelles. Aussi je ne me hâte pas du tout de m’habiller, me trouvant toujours assez prête et assez belle pour ma solitude. Comment vas-tu, mon cher petit homme, as-tu pris ton bain ce matin ? Pourquoi n’es tu pas venu dans l’intervalle ? Enfin pourquoi est-ce que je t’aime trop ? Répondez à cela si vous pouvez. Fichez-vous de moi si vous l’osez. Pendant que j’y pense, mon cher petit homme, je te fais souvenir que tu dois une visite collective à Mme Charrassin et que tu n’as plus que le temps juste pour accomplir cette corvée de politesse traditionnelle avant son départ. Il est inutile, faute d’un peu de courage, de se faire des ennemis intimes à la place d’amis banals ou BANAUX. Cette race pullule assez d’elle-même sans en créer artificiellement par la paresse. Allons, mon cher petit Toto, un peu de courage dans les jambes de Marine-Terrace et arpentez cet embêtement colossal pendant qu’il en est temps encore. La civilité PUÉRILE et HONNÊTE vous contemple du haut du mont patibulaire [1] ainsi que les aimables habitants du sieur Spilips [2]. Tiens vous voilà, quelle chance ! quel chic ! quelle bosse ! quel rack : allez-vous leurzi montrer ?
Juliette
BNF, MSS, NAF 16376, f. 293-294
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa