Jersey, 19 mai 1855, samedi après-midi
Je cherche depuis cinq minutes une manière nouvelle de te dire mon éternel amour. Et je n’en trouve pas de plus neuve que celle-ci : JE T’AIME. Il est vrai que ce seul et unique mot se renouvelle pour moi, chaque jour à la façon du couteau de Janot [1]. Tantôt c’est le manche de mon cœur et tantôt la lame de mon âme. Mais au bout du compte, c’est toujours mon même amour depuis le premier de tes baisers jusqu’au dernier, ce qui ne veut pas dire, hélas ! qu’il est le FIL. Et voilà ce qui me LA COUPE. À propos de coupe, je crois que l’Eustache [2] d’Asplet [3] est rentré dans le manche ou plutôt qu’il s’est converti en deux pauvres petits pigeons morts que son fils vient de m’apporter. Du reste, j’aime autant cela, pigeons à part, car je regrette qu’on les ait tués pour moi, mais pour le cadeau. En fait de munificencea, j’aime mieux être en avance qu’en retard et je le suis avec Asplet et grâce à toi, mon grand artiste, de toute la grandeur de ton splendide dessin d’hier. J’espère qu’il n’est pas assez jersiais, Asplet, pour ne pas apprécier le don magnifique que tu lui as fait sous mon pseudonyme. S’il en était autrement, il mériterait d’être noyé vif dans le plus grand de tes bocaux de cornichons. Quant à moi, je commettrais plusieurs crimes pour en avoir un pareil, telle est ma force.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16376, f. 211-212
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa
a) « mugnificence ».