Guernesey, 22 juin 1862, dimanche matin, 7 h. ½
Bonjour mon cher adoré, bonjour, je t’aime. Que ton cœur ne se lasse pas plus de l’entendre que le mien de te le dire et ma vie aura sa raison d’être et ma pauvre restitus n’aura plus à rougir de sa monotone et éternelle rédaction : je t’aime, je t’aime, je t’aime. Il fait un temps à souhait aujourd’hui et dont nous pourrons peut-être profiter tantôt si tu n’as pas trop de lettres à écrire ou ta coupole à finir de peindre. Dans tous les cas, je serai à ta disposition, soit pour sortir, soit pour rester. De même pour toute autre chose qu’il te plaira de faire aujourd’hui, demain et les autres jours. Kesler, qui n’est qu’un écho, a dit hier un mot qui me ferait croire qu’on m’impute tes abstentions trop fréquentes dans les petites parties qui se font autour de toi. Si cela était, ce serait fort injuste pour toi et pour moi, car loin de te retenir, je te conduis moi-même chaque fois que l’occasion s’en présente dans les endroits où l’on te désire et où l’on s’amuse. Cela est si vrai que je t’offre encore de t’accompagner à Jersey [1] et d’y rester tant que cela te sera nécessaire et que tu t’y plairas, trop heureuse d’être auprès de toi, de sentir que tu m’aimes et de te voir tous les jours un peu. Aussi, mon cher bien-aimé, si tu peux faire ce plaisir à ta famille, ce dont je ne doute pas, et du bien à ta santé comme je l’espère, vas-y et je te suis avec bonheur.
BNF, Mss, NAF 16383, f. 160
Transcription de Camille Guicheteau assistée de Guy Rosa