19 décembre 1861

Guernesey, 19 décembre 1861, jeudi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon toujours et de plus en plus bien aimé ; bonjour malgré vent et marée et malgré les tristes dissentiments que nous avons entre nous et que je ne demande pas mieux que de voir cesser sans qu’aucun de nous ne soit forcé de faire à l’autre une lâche et hypocrite concession de ce qu’il croit être la vérité. Mieux vaut encore la discussion irritante entre deux cœurs de bonne foi, que la fausseté passive de deux êtres qui n’ont besoin ni de s’aimer ni de s’estimer l’un l’autre. Quant à moi, mon adoré bien-aimé, je ne demande pas mieux que d’être convaincue que tu es dans la vérité et dans la justice générale et particulière et je désire ardemment que le nuage noir qui est entre nous se dissipe le plus tôt possible et ne reparaisse jamais. En attendant je te demande pardon d’avance et de confiance et je te donne mon âme en otage jusqu’à ce que notre douloureux petit conflit soit terminé. Je n’ose pas te demander comment tu as passé la nuit car je pressens qu’elle a dû être très agitée, non pas tant pour ce qui venait de se passer entre nous, que pour tous les autres sujets autrement sérieux et importants pour toi qui te tiraillent et te harcèlent dans tous les sens. Mon pauvre bien-aimé, cette pensée fait que je me rends sans conteste. Tu dois avoir raison et je suis une sotte et une bête comme tu me l’as justement dit hier. J’accepte ces deux épithètes méritées et je suis heureuse de te demander pardon de tout mon cœur et autant que je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16382, f. 183
Transcription de Florence Naugrette