Paris, 14 avril 1882, vendredi matin, 7 h.
Mon pauvre bien-aimé, je suis tourmentée par la pensée que tu souffres jusque dans ton demi sommeil. Tout à l’heure tu te plaignais douloureusement : je crains que tu ne te fatiguesa beaucoup le soir par des conversations stériles avec des étrangers trop indiscrets dans leur curiosité de toi et trop peu intelligents pour te comprendre. Tu as bien assez de t’occuper en ce moment de la publication de ton prodigieux Torquemada sans mêler à cet enfantement énorme les mille petites billevesées de tous les imbéciles désœuvrés des cinq parties du monde. C’est pourquoi, mon grand adoré, je me permets de te supplier d’envoyer paître tous ces moutons de Panurge qui viennent à la queue leu leub bêler autour de toi leur stupide admiration. Je te fais penser, aussi, que tu as rendez-vous demain à quatre heures avec Paul Meurice pour porter ensemble chez Quantin le manuscrit de Torquemada. De plus, ta réponse à Préveraud, et une apostille pour Lesclide dont la réclamation à Léon Say me semble juste à tous égards. Enfin, mon cher bien-aimé, réserve-toi le plus possible dans l’intérêt général et surtout dans celui de ta santé qui est mon bien, ma joie et ma vie et sois béni autant que je t’adore.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16403, f. 54
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
a) « fatigue ».
b) « à la queue leue leue ».