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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 novembre [1844], dimanche soir, 16 h. ¾

Mon cher petit bien-aimé, je vous écris à des heures bien indues et pourtant Dieu sait si je pense à vous, si je vous désire et si je vous aime. Enfin ce n’est pas l’envie qui m’a manqué mais bien le temps : au moment où j’allais t’écrire, mon cher amour, Mlle Hureau est venue, après, Clémentine, Joséphine et ses nièces. Enfin me voilà seule, Claire ne compte pas, et je me dépêche de te griffouiller quelques lignes d’amour et d’adoration. J’aurais bien envie de te gronder mais je ne l’ose pas. Tu es trop grand, trop beau et trop sublime pour que je me permette d’aboyera derrière tes chers petits talons. Figure-toi que mes petites filles, sans en excepter la vieille Joséphine, sont parties ivres, non de mon vin, mais de ta poésie. Je leur ai lu Les Murs du sérail, L’Enfant et La Fiancée du Timbalierb [1]. Elles sont ravies, en extase je suis bien sûre qu’elles rêveront de vous cette nuit. Et moi, donc, moi qui t’adore, moi qui ne vis que pour toi et par toi qu’est-ce que je ferai ? Je t’adorerai pauvre bel ange, doux beau et bon laisse-moi exhalerc mon amour au hasard, comme je peux, immodérémentd, sans ordre et sans forme. Si tu savais comme mon cœur déborde tu comprendrais que je n’aie pas le temps de chercher les mots pour y emprisonner mon amour comme dans des bouteilles. Je ne sais pas si j’ai de l’esprit mais j’ai trop de bonheur à être bête comme je suis pour regretter de n’en pas avoir si je n’en ai pas. Va il n’y a pas de femme qui puisse montrer un amour splendide comme le mien. Je sens bien ce que j’ai dans le cœur. C’est tout un ciel, tout un monde lumineux, rayonnant, paré, joyeux, éblouissant, un paradis enfin dans lequel habite mon amour. Je t’aime je t’aime je t’aime. Si tu venais en ce moment je n’aurais rien à désirer au monde. Mon Victor bien-aimé, est-ce que tu ne vas pas venir bientôt ? Je t’en prie, je t’en supplie, pour moi et pour cette pauvre Claire qui n’a plus que quelques instants à passer avec nous. Tu travailleras demain mais viens tout de suite. Je t’attends, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 61-62
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « aboier ».
b) « Timballier ».
c) « exaler ».
d) « immodéremment ».

Notes

[1Juliette veut sans doute parler du poème Les Têtes du Sérail, publié ainsi que L’Enfant dans le recueil Les Orientales. La ballade La Fiancée du Timbalier fait partie du recueil Odes et Ballades.

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