Paris, 9 avril [18]72, mardi matin, 8 h.
Cher bien-aimé, je t’envoie mon bonjour le plus tendre, je dirais volontiers le plus souriant, si je ne te savais pas en proie à des tiraillements domestiques et de domestiques fort ennuyeux. Mais le soleil est si doux ce matin qu’il ressemble à l’espérance et qu’il en a les caresses. Je suis sûre que ton Petit Georges et ta petite Jeanne vont en ressentir tout de suite le bon effet. Quant à Mariette elle se proclame guérie et dit qu’elle n’a plus besoin de médecin mais de nourriture. Tu le vois, mon cher adoré, l’horizon commence à s’éclaircir un peu, il faut que ton pauvre cœur et le mien en profitent pour s’aimer dans un rayon de soleil. Je viens d’écrire à Mme Montferrier de venir tantôt à 3 h. ou demain à 10 h. du matin. J’espère lui faire comprendre raison. J’y suis décidée même, car rien ne me révolte plus que le manque de délicatesse fait au nom d’un service rendu [1]. J’ai hâte de me dégager de cette rencontre pénible à tous les points de vue. Mais quelle belle matinée, mon grand adoré ! Je voudrais pouvoir t’en imprégner sous toutes les formes les plus joyeuses et les plus heureuses de la vie, dans la santé de tes petits enfants et dans la sécurité de leur avenir. Combien je regrette de ne pouvoir pas faire de mon cœur la monnaie de tous ces bonheurs-là ! Comme tu serais riche ! Hélas, je ne peux même pas en faire les gros sous.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 95
Transcription de Guy Rosa