Guernesey, 9 oct[obre 18]78, mercredi matin, 9 h. ½
Cher bien-aimé, tous les phares sont encore allumésa et la stella matutina [1] à son poste dans le ciel semble attendre que le soleil vienne la relever de sa faction pour disparaitre de l’horizon. Ce spectacle que j’ai sous les yeux, je l’ai aussi dans le cœur. Ma pensée incessante allume et éclaire en moi tous les écueils et tous les dangers qui menacent notre amour. Pendant que mon âme, Stella Matutina, attend que Dieu la relève de sa beaucoup trop longue faction dans cette vie pour s’enfoncer dans l’éternité. Cette délivrance suprême, je l’implore de tous mes vœux et je la bénis d’avance, quelle qu’elleb soit.
J’espère que ta nuit a été bonne et que la journée ne te laissera rien à désirer. La présence ici de notre adorable ami et de ses douces et charmantes filles [2] est déjà une fête pour ton esprit et pour ton cœur. C’est grand dommage qu’on ne puisse pas les retenir plus longtemps que jusqu’à demain. Pour moi la présence de cet incomparable ami est plus qu’une fête, c’est une consolation et une bénédiction. J’espère le retrouver à Paris, si j’y retourne ? En attendant, je prie Dieu de lui accorder tout le bonheur que son dévouement sublime pour toi mérite.
Je t’envoie en souvenir de la joyeuse soirée d’hier, mon bonjour le plus ému et le plus gai, le plus tendre et le plus confiant. Je mets ce qui me reste d’avenir, s’il m’en reste encore, sous la protection de tes deux petits anges d’ici-bas et sous celle de nos deux saints anges de là-haut.
« Comme pour les enfants, pourquoi n’avez-vous pas des anges pour les femmes ? » Je t’adore.
MV-MVH, Villequier, Inv. 1973.5.1(20)
Transcription de Marie-Jean Mazurier
[Souchon]
a) « allumé ».
b) « quelqu’elle ».