25 février [1846], mercredi matin, 9 h. ¾
Bonjour mon petit Toto chéri, bonjour mon bien-aimé, bonjour comment vas-tu ? Moi je vais très bien, au mal de tête près. Il fait cependant un bien beau temps, peut-être est-ce là la cause de mon mal, car je crois que le printemps est pour beaucoup dans ce que j’éprouve. Mes gribouillis ont toujours l’air de bulletin de santé ou de bulletin de bureau des longitudes. Tous les matins et tous les soirs je t’écris comment je suis avec le temps qu’il fait, absolument comme le roi Carlos [1], à l’exception que je me donne la peine de gribouiller moi-même de jolies choses. Il est vrai que je tue rarement six loups, mais le moyen d’ailleurs d’avoir de l’esprit quand on n’en a pas ? Question profonde à laquelle vous serez peut-être aussi embarrassé que moi de répondre. Et puis j’ai une Cocotte dont les cris m’abrutissent, je voudrais trouver à qui la donner. Ce ne sera pas sans regret, parce que son excessive douceur me l’a fait aimer mais j’ai la tête trop malade pour supporter ses cris sans impatience. Il est bien regrettable que Dédé ne l’ait pas prise en amour, parce qu’alors elle l’aurait gardée et instruite. Moi je me reconnais incapable de faire son éducation et d’ailleurs je n’en ai pas le temps. En attendant, j’ai l’ennui de ses affreux cris incessants qui m’agacent et me font souffrir on ne peut pas plus. Je te demande pardon de tout ce lamentable verbiage et je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16362, f. 197-198
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette
25 février [1846], mercredi soir, 8 h.
Tu as bien fait de venir me prendre, mon Victor adoré, et surtout d’insister. En général tes propositions me sont faites par toi de telleª sorteᵇ que le plus souvent je les crois inacceptables et que je les refuse pour n’avoir pas l’ennui de te voir mécontent et impatient. Aujourd’hui j’aurais refusé, à mon grand regret, si tu n’avais pas insisté d’une manière charmante et douce. Cette promenade m’a fait grand bien de toute façon et je t’en remercie de grand cœur. Je serais la plus heureuse des femmes si tu m’avais promis de revenir ce soir. Malheureusement tu m’as dit tout le contraire, ce qui fait que je fais un peu la lippe. Cependant il fait un temps ravissant et tu dois avoir encore la clef du cul-de-sac de Guéménée [2] ? Enfin nous verrons bien si vous n’êtes plus qu’un vieux paresseux au lieu du charmant et prodigieux amoureux que vous étiez autrefois. Tu sais ce que je t’ai dit pour Cocotte, je te le répète encore tout en regrettant de m’en séparer mais j’ai la tête trop douloureuse pour la garder. J’aimerais mieux la savoir à Dédé qu’à tout autre personne. Mais cependant si elle n’en veut pas absolument il faudra bien la donner à Mme Asseline. Arrange cela pour le mieux et pour que cela se fasse le plus tôt possible. Mais surtout tâche de venir ce soir n’importe à quelle heure si tu tiens à ce que je passe une bonne nuit et que je fasse de bons rêves.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16362, f. 199-200
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette
a) « telles ».
b) « sortes ».