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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 janvier [1846], mardi matin, 11 h. ¼

Bonjour mon bien-aimé, bonjour mon adoré, bonjour toi, comment que ça va ? Quant à moi j’éternue sans interruption depuis ce matin. Je ne sais plus où j’en suis, je n’y vois pas, je vais de mon nez à mes yeux, de mes yeux à mon nez sans pouvoir y suffire. Atchi, atchi, atchi, que le diable emporte le rhume de cerveau et les nez, qu’ils l’ont inventé ! Avec tout ça il fait un temps ravissant et un soleil exquis que je vois de loin. Je ne te demande pas à sortir parce que tu travailles et puis aussi parce que j’attends cette dame tantôt. Je désire que tu puisses faire quelque chose pour elle dans les limites que tu croiras justes et raisonnables, bien entendu. Et moi, mon Victor, est-ce que tu ne feras pas aussi quelque chose pour moi ? Voilà bien longtemps que je te demande à Copire et tu as l’air de ne pas même t’en apercevoir. Il serait bientôt temps cependant de faire attention à mes pressentes réclamations et de m’accorder ce que je désire de toutes mes forces. Je finirai par montrer les grosses dents et nous verrons si vous m’écouterez à la fin. D’ici là je bisque comme un chien et j’éternue comme plusieurs douzaines de gendarmes, je suis comme le ciel du Sieur Despréaux [1], je me fonds tout en eau, j’inonde mon mouchoir d’un déluge nouveau. Hum ! Qu’est-ce que vous dites de cette citation classique arrangée pour la circonstance ? Faites-en donc autant, vous, si vous pouvez. J’emmènerai ROBERT. ATTRAPÉ ! HEIN !!!!! Baisez-moi malgré mes infirmités marécageuses.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 63-64
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


20 janvier [1846], mardi après-midi, 3 h. 

Eh ! bien je suis prête, mon amour, et depuis très longtemps. J’ai voulu faire ton eau de très bonne heure, tu vois comme cela m’a réussi. Je crois qu’il ne m’est pas arrivé une seule fois de préméditer mes actions pour les faire coïncider avec ta visite sans être piteusement désappointée. C’est ce qui fait que je tombe dans une espèce d’apathie et que je me décourage jusque dans la moelle des os. Pourtant je ne t’en veux pas, Dieu le sait. Je mets tout cela sur le compte de mon guignon et comme il a bon dos, il le porte très bien. Dabat vient d’apporter tes bottes neuves, je l’ai payé comme nous en étions convenus. J’attends encore cette dame, c’est à peu près l’heure à laquelle elle est venue hier. Je crois que si je n’avais pas attendu et si je te l’avais demandé je serais sortie aujourd’hui uniquement pour respirer l’air et voir le soleil. Tu sais que ma chambre n’est rien moins que gaie et le jardin n’est pas encore ressuyé pour pouvoir y marcher sans inconvénient. Je te dis là des choses bien utiles vraiment et qui doivent bien t’intéresser. Pauvre doux adoré, mon Victor, mon orgueil, ma joie, je t’aime. Quand je pense à toi mon cœur s’ouvre comme une fleur et laisse échapper mon amour comme un parfum. Je voudrais répandre mon âme sur tes pieds. Je t’aime de tous les amours à la fois, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 65-66
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Citation de la Satire VI de Boileau : « On dirait que le ciel, qui se fond tout en eau, / Veuille inonder ces lieux d’un déluge nouveau. »

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