5 août [1841], jeudi matin, 9 h.
Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher amour. Comment vas-tu mon chéri ? M’aimes-tu ? Je t’aime moi. Je suis contente que tu aies gagné ton procès, c’était si juste et si légitime qu’il n’y a pas eu besoin de faire un grand effort de justice pour te donner gain de cause. Mais enfin les hommes sont capables de tout et c’est toujours une surprise agréable quand ils font acte de bon sens et de raison [1].
À propos de choses plus sérieuses, comment Madame Dédé a-t-elle pris la nouvelle venue ? Lui a-t-on fait fête ? La facture a-t-elle été goûtée ? Pense-t-on à me donner DES GRAINES, des oiseaux et des coquillages ? Tout cela m’intéresse au suprême degré et je ne serais pas fâchée de savoir au juste sur quoi je dois compter [2].
Vous deviez revenir, mon Toto, et m’apporter de la copie et vous n’avez fait ni l’un ni l’autre. Vous êtes un monstre féroce, pour me venger je vais arracher tous mes cheveux… blancs. Ce ne sera pas une petite besogne et je risque fort de réduire ma perruque à zéro si je veux en ôter tous les cheveux blancs [3]. Enfin je ferai pour le mieux. Si vous m’aviez apporté à copier tout cela n’aurait pas eu lieu. Vous êtes une bête et un scélérat par-dessus le marché. Apportez-moi le reste de mon pauvre Pécopin et de ma belle Bauldour si vous voulez que je vous pardonne [4].
Le temps a l’air moins piteux ce matin qu’hier. Je voudrais bien qu’il pût se maintenir dans cette voie, mais voici déjà des vilains nuagesa gris sur le soleil. Quel affreux été. Si je n’avais pas l’espoir d’avoir deux bons mois d’automne je me pendrais derrière ma porte. Baisez-moi, mon chéri, et envoyez-moi chercher mon passeport tout de suite [5]. Je vous aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16346, f. 115-116
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « nuage ».
5 août [1841], jeudi midi
Je vous écris ma seconde lettre, mon amour, à très peu de distance de la première parce que je veux faire ma perruque ainsi que je vous l’ai déjà dit ce matin, et parce que je trouve qu’il est toujours trop tard pour vous dire que je vous aime de toutes mes forces, de tout mon cœur et de toute mon âme. Et puis si vous m’apportez à copier tantôt je pourrai m’y mettre tout de suite dare-darea. Je suis débarbouillée, j’ai déjeunéb, je n’attends plus que le frotteur pour commencer ma grande opération. J’ai cependant bien mal à la tête déjà mais la coquetterie et le besoin de paraître très jeune me donne le courage d’affronter la douleur. Je ne sais pas à quelle torture je ne me soumettrais pas pour vous plaire. Hélas ! les Anglaises, qui sont des Françaises [6], et les houris de village [7] rendent ma tâche de plus en plus difficile mais c’est égal, je n’en persiste que davantage dans mes efforts surhumains pour RÉPARER DES ANS l’IRRÉPARABLE OUTRAGE [8] et si je succombe à la peine ce ne sera pas ma faute. Je veux que vous m’aimiez jusqu’à la fin de mes jours et plus encore si l’autre vie n’est pas une fiction. En attendant soyez-moi fidèle, pensez à moi et venez bien vite m’apporter votre ravissante bouche à baiser en détail. Apportez-moi aussi à copier, je vous attends.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16346, f. 117-118
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « dar dar ».
b) « déjeuner ».