Guernesey, 14 décembre 1856, dimanche soir, 4 h.
Les petits Préveraud qui sortent de chez moi affirment que ta chère petite malade va mieux et que le délire est très réduit depuis hier. Comme ces bonnes petites gens sont très bien placés pour le savoir à cause de leur beau-frère et comme ils n’ont aucun ménagement à garder avec moi, je me livre à toutes les espérances d’une prochaine et très entière et très heureuse guérison de ta pauvre petite fille bien-aimée. Cependant, je comprends ta douloureuse impatience qui te fait devancer ce moment mille fois par jour en voyant souffrir ton enfant adorée et j’en suis moi-même presque aussi tourmentée que toi. Mais, mon pauvre petit homme, il faut tâcher de maîtriser les élans de ta sollicitude paternelle encore quelques jours et d’attendre avec calme et confiance la guérison pleine et entière de ta chère fille qui ne peut manquer car Dieu est juste.
J’ai dans le cœur toutes les convictions qui pourraient te rassurer. Malheureusement, mon inexpérience, ou plutôt mon ignorance leur barre le passage et ne laisse sortir que des mots confus et des banalités à la place des tendresses les plus saintes et des espérances les plus sacrées. Mais tu as trop l’habitude de mon amour pour t’y tromper et tu sais bien que lorsque je te dis : mon Victor, je t’aime, c’est comme si je te disais : mon Victor, je te donne ma vie pour payer ton bonheur en ce monde.
Juliette.
Bnf, Mss, NAF 16377, f. 282
Transcription de Mélanie Leclère, assistée de Florence Naugrette