Guernesey, 17 août 1856, dimanche après-midi, 2 h.
Tu oublies, mon cher petit homme, que je suis toute seule comme un pauvre chien et que je t’attends depuis ce matin. Je ne t’en fais pas un crime mais j’en suis triste, triste, triste. Sans compter que j’ai la mauvaise pensée que tu auras été forcé de te promener avec tes gamins toute la journée sans avoir le temps de m’y prévenir. Cela fait courir de gros nuages noirs sur mon âme qui ne sont rien moins que gais. Voilà ce que c’est que de mettre tout son bonheur dans un seul Toto. Une autre fois, je ne serai pas si bête. En attendant, je le suis, bête, de la tête aux pieds qui dit… ah ! vous voilà, quel bonheur ! Ça va bien, et vous ?
8 h. ½. Il paraît que mon OCLOQUE [1] avance de dix minutes car six heures sonnaient comme j’entrais dans la rue Havelet à mon grand regret car j’aurais pu rester encore avec toi ces dix minutes-là, mon trop cher bien-aimé. Quant à toi, tu as dû arriver trop tôt chez toi, ce dont les AUTRES n’auront pas été fâchésa. Quelle ravissante promenade, mon cher petit homme, et quel dommage de ne pas la terminer par un bon petit dîner côte à côte dans quelque guinguette locale, s’il y en avait. Enfin, ce n’est pas le moment de me plaindre car je suis bien reconnaissante du petit morceau de bonheur que tu viens de me donner. Merci, mon adoré, merci. Je t’aime.
Juliette.
Bnf, Mss, NAF 16377, f. 216
Transcription de Mélanie Leclère, assistée de Florence Naugrette
a) « fâché ».