Paris, 27 déc[embre 18]70, mardi matin, 8 h.
Cher bien-aimé, je te donne mon bonjour saupoudré d’un petit grésil qui, je l’espère, ne résistera pas devant le brasier de mon cœur. La cause de ce gribouillis matinal est un bain que je vais prendre chez moi par prudence n’osant pas l’aller chercher au dehors par ce temps de Prussiens… blancs. J’aurais voulu t’envoyer de bonnes nouvelles de tes chers petits-enfants mais rien ne bougea encore dans leur petit dortoir. Cette nuit, vers trois heures, j’ai entendu crier (quirer) petit Georges en proie probablement à un petit cauchemarb d’ange, mais qui n’a pas duré longtemps, heureusement. Il serait à souhaiter que le nôtre, de cauchemarb, fût aussi rose que le sien et qu’il se terminât aussi vite. Hélas ! cela n’en prend guère le chemin à en juger par ce qui se passe au ciel et sur la terre. Cependant les tambours battent avec frénésie et les bataillons de marche emboitent le pas avec une énergie martiale digne d’un meilleur Trochu. Qui donc viendra en aide à notre pauvre patrie ? That is the question à laquelle Dieu, jusqu’à présent, ne répond pas. Cependant j’espère encore, j’espérerai jusqu’à la fin ne pouvant me décider à désespérer devant cette hideuse Phyllis qu’on appelle la Prusse. Tu as bien fait de résister à la troisième sommation respectueuse qu’on t’a faite hier d’entrer dans le gouvernement [1]. Tu dois te réserver pour le grand devoir de la Fin et du Commencement. Je te gribouille tout cela au hasard de ma pensée et de mon cœur qui t’admire, qui te vénère et qui t’adore.
MLVH Bièvres, 130-8-LAS-VH 21 a, b et c
Transcription de Gérard Pouchain
a) « bouje ».
b) « cauchemard ».