6 avril 1856

[Guernesey], 6 avril 1856, dimanche après-midi, 3 h.

Tu sais bien que je t’aime, mon cher petit homme, et je ne t’apprends rien en te le disant et pas davantage en te le gribouillant. Ce que j’en dis et j’en fais tous les jours et à toute occasion n’est donc pas en vue de te révéler une nouvelle nouvelle [1] mais uniquement pour ma satisfaction personnelle. C’est encore par le même sentiment d’égoïsme que je te rabâche mon cœur sous prétexte de RESTITUS aujourd’hui comme les autres jours. Oui, mon cher petit homme, je t’aime si complètement que je ne suis bonne à rien hors de mon amour. Je ne sais pas autre chose, je ne comprends pas autre chose, je n’ai pas besoin d’autre chose que t’aimer. Mon amour est comme le fruit naturel de mon âme. Je t’aime comme les pommiers ont des pommes. Il me serait impossible de ne pas t’aimer en supposant que je puisse jamais en avoir la volonté. Voilà pourquoi, mon pauvre tout aimé, je te dis toujours le même mot depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre au risque de te blaser et de t’ennuyer^a au-delà de ton angélique patience. La seule manière de remédier à cette adoration monotone, ce serait de cesser les RESTITUS qui en font une scie pour toi. Je te l’ai déjà offert plusieurs fois mais tu as cru de ton devoir de ne pas accepter ma proposition par une sorte de politesse indulgente et tendre dont tu n’es pas plus la dupe que moi. Dans cette position je ne sais sur quelle plume danser et je ne trouve rien de mieux à faire que de continuer à t’aimer et à te le répéter à satiété jusqu’à la consommation des siècles.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16377, f. 107
Transcription de Chantal Brière

a) « ennuier ».