15 juillet [1847], jeudi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon grand Docteur, bonjour, mon HOMME ET AUX PATTES duquel je voudrais me tenir en signe de respect et de reconnaissance. Votre DÉRIVATIF est un SPÉCIFIQUE UNIQUE qui a son charme et son utilité. Je trouve seulement que vous en êtes trop avare. Dorénavant j’y aurai recours plus souvent au risque de l’épuiser et de n’en pas laisser pour d’autres. Mon dévouement à la CHOSE PUBLIQUE ne va pas plus loin.
Je viens de renvoyer le châle vert à Mme Guérard en la priant de le changer contre un blanc que j’avais d’abord choisi. Je lui mande que s’il était vendu j’aime mieux pas de châle du tout qu’un qui ne te plaît pas. Je ne sais pas comment je ferai pour t’aller chercher tantôt. Ce qu’il y a de sûr, c’est que j’irai n’importe sous quel plumage. J’irai même sans plumage du tout plutôt que de n’y pas aller. Jour, Toto, jour, mon cher petit fontanarose [1], vous pouvez compter que j’aurai souvent recours à votre EAU MERVEILLEUSE, j’en userai à INDISCRÉTION. Je vous dis que je ne veux pas que vous en gardiez pour d’autres. C’est une idée que j’ai comme ça. Nous verrons si vous viendrez ce matin avant d’aller à la Chambre [2]. J’aurais dû vous dire que je sortais. De cette façon j’aurais été sûre de vous voir. Taisez-vous, vilain homme, car vous m’exaspérez. Et dire que je ne peux pas m’empêcher de vous aimer, AU CONTRAIRE. C’est agaçant. Heureusement que le pli en est pris depuis longtemps car sans cela je serais capable d’en devenir folle ou enragée. Baisez-moi et venez.
Juliette
Harvard
[Barnett, Pouchain]
15 juillet [1847], jeudi après-midi, 2 h.
C’est comme cela que vous avez pitié de moi, féroce homme ! Eh bien ! soyez tranquille ! Quand vous serez à l’état de homard sortant de prendre un bain dans le court-bouillon, je me ficherai de vous à cœur joie. Dieu veuille que ma vengeance ne se fasse pas attendre, je suis pressée d’user de représailles envers vous, sans cœur que vous êtes. D’ailleurs si vous ne me laissiez pas si longtemps manquer de dérivatif, cela n’arriverait pas et j’aurais le teint clair et frais comme une rose au lieu de l’avoir comme une grenade. Donc que c’est votre faute et que vous ne devriez pas vous moquer de moi avec cet aplomb. En attendant, je bisque, je rage et je suis furieuse contre tout le monde et encore bien d’autres choses, contre la chaleur absurde qu’il fait etc. etc. etc. Encore, si cela ne me faisait pas mal à la tête, mais je souffre beaucoup quoi que vous en disiez [3]. Dites donc, vous, je voudrais bien savoir pourquoi vous avez l’air de mauvaise humeur. Sachez une fois pour toutes qu’il n’y a que moi qui aie ce droit, et comme j’en use je ne veux pas que vous me fassiez concurrence. Il ne me resterait plus rien si vous alliez me prendre encore ma grogonnerie. J’y tiens et je vous défends d’y toucher ou je vous fiche des coups.
Juliette
Harvard
[Barnett, Pouchain]