20 sept[embre] [18]33a
J’ai été hier bien injuste envers toib – Tu as dû me trouver bien ingrate et bien indigne – Tu me haïras bientôt et bientôt aussi tu m’auras oubliéeb – je le sens bien – Vois-tu, il n’y a pas une seule pensée de toi, pas un sentiment que je ne comprenne et que je ne devine. Eh bien, à présent, au moment où je t’écris, tu me blâmesc de souffrir, tu m’en veux de t’aimer avec cette exclusion qui me rend folle et jalouse par momentsd. Tu es las de mon amour. Il t’étreint trop fortement, il te fatigue. Tu penses à me fuir – mon mauvais sort t’épouvante, tu crains de le partager plus longtemps, tu crains la responsabilité ou plutôte, tu m’aimes moins. Tu ne m’aimes plus peut-être – Oh ! qu’à cette seule crainte, mon cœur souffre comme ma tête est malade, comme je voudrais mourir. Il me semble que c’est ma faute, que j’ai eu tortf de te montrer la plaie hideuse de mon cœur : la jalousie qui l’ulcère et le gangrèneg. Oui, je devrais te cacher ce que je souffre – Je ne devrais jamais avoir de ces emportements qui trahissent tant d’amour et tant de douleur. Mon Victor, ne me quitte pas, je t’en prie à genoux. Ne recule pas devant une responsabilité publique qui te demandera compte un jour du plus ou du moins du sacrifice que tu auras faith à ma vie extérieure. Que t’importe qu’on te refuse la justice qui t’est duei ? Que t’importe qu’on t’attribuej faussement une partie de ma misère – Ce qu’il faut considérer avant tout, c’est moi, moi avec toi. La responsabilité qu’il faut que tu acceptes est vis-à-vis de moi seulement. Elle est tout intérieurek et d’âme à âme – Si tu la repousses, je mourrai, c’est bien vrai, je mourrai car ma vie c’est toi, c’est ta présence. Je ne respire que par ta bouche, je ne vois que par tes yeux, je ne vis que dans ton cœur – Je mourrai si tu m’ôtes toi –
Penses-y – Ce n’est pas une menace pour te retenir près de moi, ce que je te dis là – Je ne m’exagère pas jusqu’à quel point tu m’es nécessaire – Je te dis ce que je sens, je te dis la vérité, la vérité avec restriction – car je n’ose me l’avouer à moi tout entièrel – Il me faut toi, il ne me faut que toi – je ne peux pas vivre sans toi – Penses-y –
Tâche de m’aimer assez pour accepter ma vie telle que le mauvais sort l’a faitem.
20 septembre 1833 [1]
Juliette
Adresse :
À mon Victor bien aimé
BnF, Mss, NAF 16322, f. 38-39
Transcription de Jeanne Stranart et Véronique Cantos assistées de Florence Naugrette
[Guimbaud, Souchon]
a) Date rajoutée sur le manuscrit d’une main différente de celle de Juliette Drouet.
b) « oublié ».
c) « blame ».
d) « moment ».
e) « plus tot ».
f) « tord ».
g) « gangrenne ».
h) « fais ».
i) « es du ».
j) « atribue ».
k) « toute intérieure ».
l) « toute entière ».
m) « fait ».