Guernesey, 12 novembre 1857, jeudi soir, 7 h. ¼
Cher bien-aimé, j’allais commencer ma restitus sur une immense feuille de papier, quand je me suis aperçue à temps que j’avais l’esprit moins grand que le cœur et que le mot je t’aime ne tenait pas assez de place [pour] faire tant d’embarras. Aussi je suis revenue modestement à mon petit format quotidien avec lequel je suis bien plus à mon aise. Quelle bonne journée et quelle belle journée hier, mon cher adoré, et quel doux épilogue à cette idylle improvisée ! J’étais loin de m’attendre à cette bonne fortune de la Saint Martin, cet été de l’automne [1] ; aussi j’en suis presque aussi surprise qu’heureuse tout en me disant que les hasards ne sont pas toujours aussi bien avisés que celui d’hier au soir. Mais, dût-il, comme c’est probable, ne s’en représenter jamais d’autres dans les mêmes conditions de bonheur, je n’en suis pas moins reconnaissante envers celui-là et je le mets dans l’endroit le plus rayonnant de mon âme pour ne l’oublier jamais.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16378, f. 200
Transcription de Chantal Brière
[Souchon, Massin]