Guernesey, 8 novembre 1857, dimanche après-midi, 3 h. ¼
Aussitôt pris aussitôt RESTITUS, mon cher bien-aimé, et mon dernier clou à peine enfoncé, je recommence à vous décocher mes tendresses en plein cœur. Maintenant garde à vous, mon petit homme, car je ne vous ferai pas grâce d’un seul baiser ni d’un seul pataquès l’un portant l’autre. Mais auparavant de me livrer à toute la frénésie du STYLE il faut que je te dise avec toute mon âme combien je suis touchée, honorée, comblée, reconnaissante, attendrie et heureuse de toute la peine que tu t’es donné depuis trois mois pour me faire un petit paradis domestique [1]. Il ne s’est pas donné un seul coup de marteau sous ton inspiration qui n’ait enfoncé une tendresse de plus au vif de mon cœur. En croyant ne faire qu’une charmante petite maison poétique et artistique tu as fait le temple de ta divinité dans lequel mon âme t’adore jour et nuit. Toutes ces choses créées par ton génie me sont chères et sacrées et je ne les touche qu’avec respect et amour. Les mots trahissent ma pensée et les effusions de ma tendresse et de mon admiration, mon ineffable bien-aimé, parce que je ne sais pas m’en servir et les mettre à leur place ; mais si tu pouvais voir tout ce que je t’écris dans mon for intérieur de doux, de tendre et de sublime, tu en serais fier et heureux autant que Dieu peut l’être de l’amour de son ange préféré. Dès que tu pourras me donner à COPIRE tu complèteras mon bonheur et tu accélèreras mon délassement. J’ai hâte de reprendre ma bonne vie des CONTEMPLATIONS [2]. Plus tu m’en donneras et plus je serai contente, reposée et heureuse. Ce qui me fatigue et ce qui m’ennuie c’est la vie dont tu n’es pas. On m’annonce les Préverauda et leur SUITE. Je te saute encore une fois au cou et je me pends à ton cœur pour n’en plus bouger.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16378, f. 196-197
Transcription de Chantal Brière
[Souchon, Massin]
a) « Préverauds ».