Guernesey, 3 octobre 1857, samedi soir, 6 h.
C’est bien vrai que tu te donnes beaucoup de peine pour moi, mon cher bien-aimé, et il faudrait que je sois bien stupide pour ne pas m’en apercevoir et bien ingrate pour ne pas en être touchée jusqu’au fond de mon âme. Aussi je t’aime pour ta bonté autant que je t’aime d’amour et sans aucun autre motif que de t’aimer. Ma comparaison n’a peut-être pas le sens commun et pourtant elle contient tout ce que la pensée, le cœur et l’âme ont de plus admiratif, de plus passionné et de plus tendre. Du reste l’obscurité n’est pas seulement dans mes mots mais encore sur mon papier car la nuit est déjà venue et je n’y vois plus du tout. Suzanne est à la fontaine, je n’ai pas de bougie auprès de moi, force m’est donc de te donner mon amour aveuglément et sans y regarder.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16378, f. 189
Transcription de Chantal Brière