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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 21 juillet 1857, mardi matin, 7 h. ¼

Bonjour, mon grand saint Victor, bonjour, mon cher petit homme, bonjour mon tout bien-aimé, bonjour, avec tout l’amour de mon cœur, bonjour avec toutes les bénédictions de mon âme, bonjour, avec le beau soleil, bonjour, avec toutes les fleurs de la terre, bonjour, avec tout ce qui te plaît, bonjour avec tout ce que tu aimes, bonjour, bonheur, joie et fête, bonjour, je t’adore. Et le bon Dieu le fait beau aujourd’hui en ton honneur, mon cher bien-aimé, il a revêtu son plus beau ciel bleu et endossé son soleil splendide sans compter le bouquet de sa boutonnière. On voit qu’il tient à se montrer avec tous ses avantages plus particulièrement aujourd’hui et je le comprends. Quant à moi, je suis la pauvre Cendrillon de la grande famille humaine et je n’ai pas eu de fée pour marraine. Aussi je reste dans mon coin, dans ma terne et morose souquenille de résignation et je t’aime, mon sublime prince, comme jamais homme n’a été aimé avant toi. Je crains que tu ne puissesa pas me donner beaucoup de temps aujourd’hui à cause de ta fête, mais je veux que tu saches d’avance que je fais don de mon propre bonheur à la masse de tes invités. C’est le seul cadeau que je puisse te faire dans ma pauvreté relative et c’est celui pourtant qui coûte le plus cher à mon cœur. Sois heureux, fêté, admiré par tout le monde aujourd’hui, mon grand Victor, moi je t’aime, je te bénis et je t’adore. J’espère te voir un peu ce matin, déjà tu secoues la poussière de tes souliers c’est bon signe pour moi. En attendant je me dépêche de finir ma grande restitus pour me débouriffer un peu. Qu’est-ce que vous me donnerez pour VOTRE FÊTE ? Si vous croyez que je me contenterai de les voir défiler sous mon nez, vos dessins, vous vous trompez GROSSIÈREMENT. J’en veux, j’en veux et j’en veux, donnez-moi ZEN ou la mort. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16378, f. 131-132
Transcription de Chantal Brière
[Souchon]

a) « puisse ».


Guernesey, 21 juillet 1857, mardi soir, 9 h.

Et moi aussi je veux toaster [1] à ton bonheur et à ta gloire, mon cher grand bien aimé, en choquant mon âme contre la tienne. Mon cœur boit à longs traits l’amour que tu lui verses et dont il s’enivre jusqu’à l’extase. Sois heureux, sois gai, sois beau, sois charmant, sois toi-même jusqu’à l’éblouissement et au sublime ; je te le permets, mon adoré, et j’en serai heureuse. Ne t’inquiète pas de moi, reste avec tes conviés ce soir, je prendrai ma revanche demain et je ne serai pas la moins bien partagée. En attendant je me donne la consolation de la restitus à grand format. Je t’ai vu aller et venir du jardin à la maison, est-ce quelque chose n’allait pas dans toute cette grande machine de MARLY [2] ? Il m’a semblé que ton fils Charles s’étaita jeté à la nage sur un banc dans le bassin pour rectifier le jet d’eau. J’espère que rien ne t’aura contrarié ce soir ? Du reste j’ai vu de très jolis petits échantillons de femme [3] sur ton balcon si les grands, échantillons, ressemblent aux petits je ne vous plains pas énormément, au contraire. Il m’a semblé voir Marquand qui ne devait pouvoir venir qu’à dix heures. Savait-il que tu étais allé chez lui pour réinviter sa femme ? Il serait triste que n’étant pas averti il n’aille pas la chercher et qu’elle l’attende indéfiniment. Je sais trop ce qu’on souffre à attendre pour ne pas compatir à l’impatience des autres femmes dans le même cas. Mais je vous dis là des choses, des folies [4] qui ne sont pas précisément celles qui me tiennent le plus au cœur. Je t’aime, mon Victor, c’est le commencement et la fin de tout ce que je pense, de tout ce que je dis, de tout ce que je fais, de tout ce que je sais. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16378, f. 133-134
Transcription de Chantal Brière

a) « c’était ».

Notes

[1Le 21 juillet est le jour de la saint Victor

[2La machine de Marly est la première étape d’un système hydraulique faisant gravir l’eau de la Seine jusqu’en haut de la colline de Louveciennes, pour ensuite la guider vers des réservoirs de stockage proches du château de Marly afin d’alimenter les bassins de Versailles.

[3Dans son agenda, Hugo dresse la liste de ses invités : « Les Préveraud - les Duverdier – Mlle Loisel – Mlle Berthe - Ribeyrolles - Le Flô - Terrier - Guérin - Kesler - Lefevre - M. et Mme Marquand – miss Joséphine - les enfants - Nelly - Scant - Margot. » (Massin, CFL, t. X, p. 1410).

[4Citation de Ruy Blas (acte I, scène 3) : Ruy Blas avoue son amour insensé pour la Reine à son ami Zafari.

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