Guernesey, 24 janvier [18]73, vendredi matin, 7h. ¾
Qui donc, Injuste, vous a permis de vous lever avant le canon et avant moi ce matin ? Est-ce Saint Babylas [1], est-ce Pologne, est-ce folie [2] ? Répondez. Avec tout cela je n’ai pas eu ma pauvre petite ration de bonheur et il faut que mon cœur jeûne jusqu’à ce soir, c’est un peu dur de café ! Mais telle est ma faiblesse pour vous, môsieu, que je vous pardonne à la condition que vous ayez bien dormi toute la nuit.
Cher bien-aimé, je ris avec toi parce que je te sais moins tourmenté de ton petit Victor [3] et parce que tu as reçu de bonnes, de charmantes et d’attendrissantes nouvelles de tes adorables petits-enfants ; et puis aussi parce que je voudrais effacer en toi, mon pauvre trop aimé, le souvenir de la triste et douloureuse hallucination que j’ai eue hier sur le palier de la salle à manger. Ce n’est pas la première de ce genre que j’ai éprouvée depuis quelque temps mais j’espère, cette fois, que ce sera la dernière car j’ai tant prié Dieu pour cela et j’ai tant appeléa nos chères âmes de là-haut à mon secours que j’espère que rien ne troublera plus la paix de nos cœurs jusqu’à notre mort. Vois-tu, mon cher bien-aimé, je voudrais que nous arrivassions tous les deux ensemble devant Dieu les âmes enlacées et la tête nimbée de l’amour incorruptible et divin. Je sais mal traduire ce que je sens mais tu dois bien voir que je t’aime d’un amour incomparable, parfait et sublime. Je te vénère, je te bénis et je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16394, f. 23
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette
a) « appellé ».