Guernesey, 3 janvier [18]73, vendredi matin, [ ?] h. ¾
Bonjour, mon grand bien aimé, je viens de te voir et même j’ai cru que tu t’étais tourné à demi à droite et à gauche à mon intention pour me dire que tu me savais là et que tu en étais heureux. Pour moi je le suis aussi mais je le serais encore plus si je ne craignais pas que tu n’aies passé encore une mauvaise nuit. Voilà déjà bien longtemps que tu dors mal et que tu travailles trop et il est impossible, quels que soient ta force et ton courage, que cela ne finisse pas par entamer ta bonne santé. Voilà ma crainte incessante. Dieu veuille qu’elle ne soit jamais justifiée : ô Dieu, faites-nous vivre ensemble à jamais. Exaucez-le en moi. Exaucez-moi en lui. Faites qu’il ne manque à aucun jour de ma vie et à aucun instant de mon éternité. Faites que je sois à jamais dans cette vie et dans l’autre, utile et aimée, utile au bien, aimée par lui. Sauvez-nous, Transfigurez-nous, unissez-nous ! Cette prière qui est la tienne pour moi et la mienne pour toi il faut en aider l’accomplissement dans ce monde par beaucoup de soin de ta santé qui est ma vie. Quant à l’autre monde il ne m’inquiète pas parce que je suis sûre de mon côté de ne rien faire qui puisse porter préjudice à notre bonheur éternel comme je suis sûre de la probité de ton cœur. J’espère avoir le temps aujourd’hui malgré le ménage à fond, de te donner le compte de décembre par [livres, sous ?] et deniers comme c’est mon habitude. Pour cela il faut que j’active un peu mes sujets comme on dit en Belgique, dont l’activité laisse un peu à désirer. Pour cela il faut que moi-même je prenne le morsa aux dents en manière d’entraînement. C’est au galop de mon cœur que je t’envoie toutes mes tendresses sans peur de les désarçonner en route.
BnF, Mss, NAF 16394, f. 2
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette
a) « mords ».