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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 mai 1847

13 mai [1847], jeudi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon doux petit bien-aimé, bonjour. Tu es beau, je t’aime. Tu es grand, je t’admire. Tu es bon, je t’adore.
Il me semblait que tu n’allais jamais à ces godailleries [1] de commissions, de comités de gens de lettres et autres truanderies. Il paraît que tu te relâches de cette sage discrétion. Je n’aurais rien à y redire si cela ne devait pas me priver du plaisir de te voir pendant ce temps-là, car il n’est que trop probable que cette banquetterie [2] se prolongera très avant dans la soirée. Je sais bien que j’ai une charmante compensation dans Marion de Lormea mais le bonheur aurait été plus complet si j’avais pu la voir avec toi [3]. Cependant j’espère que tu ne me laisseras pas revenir seule et que tu viendras au moins pour la fin du spectacle. La loge sera complèteb car Mme Guérard y viendra. Pourvu qu’on ne nous fasse pas de difficultés pour les entrées, à ceux qui n’auront pas de coupon du moins. Ce serait fort ennuyeux et très vexant. Pour ma part je suis très décidée à passer à travers les contrôleurs, les commissaires et les pompiers de garde. Je veux voir ma Marion à toute force. En attendant je repasse dans ma mémoire tout ce rôle délicieux et toute cette admirable pièce vers par vers et scène par scène et je bats des pieds, des mains et du cœur comme si j’y étais déjà, à la représentation. Baisez-moi vous et aimez-moi, je le veux.

Juliette

MVH, α 7897
Transcription de Nicole Savy

a) Juliette orthographie généralement « Marion Delorme ».
b) « complette ».


13 mai [1847], jeudi après-midi, 1 h. ¾

Je ne sais pas pourquoi je t’écris une seconde fois tous les jours puisque je n’ai rien de nouveau à te dire, une fois le mot : je t’aime gribouillé. Mais je ne sais pas non plus pourquoi je ne t’écrirais pas toute la journée sans interruption puisqu’il me semble te faire une douce révélation chaque fois que ce mot charmant : je t’aime, se trouve sous ma plume. Dans cette alternative de ne t’écrire jamais ou de t’écrire toujours, j’adopte une sorte de juste milieu conciliant qui est de t’écrire deux fois par jour. C’est une sorte de compromis qui m’empêche de trop souffrir de ton absence sans me satisfaire entièrement cependant.
J’ai appris aujourd’hui que le maître d’école Lagarrigue [4] avait fait des démarches hier pour avoir mon appartement. Peut-être est-ce une ficelle pour me tenir la dragée haute dans le renouvellement du bail. Toujours est-il que la propriétaire a refusé, m’a dit la cuisinière qui est en même temps sa femme de confiance et sa confidente. J’espère que cette vieille sorcière n’aura pas le front de nous exploiter après nous avoir laissé faire tant de dépenses dans son humide et sombre rez-de-chaussée. Ce ne serait rien moins que loyal et rentrerait dans la catégorie du chantage et de l’industrie des pairs de France. Ce que j’en dis n’est pas pour vous………. a offenser. Baisez-moi et venez bien vite si vous tenez à mon estime.

Juliette

MVH, α 7898
Transcription de Nicole Savy

a) Les points courent jusqu’au bout de la ligne.

Notes

[1Ou godaille, populaire, débauche de table et de boisson.

[2Dérivé de « banqueter ».

[3Marion de Lorme est reprise au Théâtre français le soir même, le 13 mai 1847. Juliette connaissait la pièce par cœur. Elle l’avait apprise en 1836, alors qu’elle rêvait de jouer un jour le rôle de Marion.

[4À élucider.

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