24 mars [1847], mercredi matin, 10 h.
Bonjour, mon petit Toto, bonjour qu’on vous dit, et mille baisers partout et où vous voudrez et ailleurs encore.
Je devrais vous garder rancune et ne pas vous parler mais je n’ai pas le moindre sentiment de ma dignité, ce qui fait que je reviens à vous sans la moindre fierté et sans le plus petit fiel et pourtant…a : — maman dit faut que ze descende de bonneu. – vous voyez que depuis la plus petite jusqu’au plus grand la formule est invariablement adaptée et suivie aux dépensb de mon sucre, de mes oranges et de mon cœur [1]. Je n’en suis pas plus contente pour cela mais c’est tout comme. Il faut faire bonne mine à mauvais jeux et ouvrir la porte à ceux qu’on voudrait le plus retenir.
Quand je te verrai je te sourirai et je te porterai et je te dirai s’il a crié quand il m’a mordue [2]. De ton côté tu me donneras en passant des nouvelles de la mairie, de M. Chaumontel et de son auguste famille et de l’affaire de Charles.
Tu n’as donc pas de Chambre aujourd’hui ? Qu’est-ce que c’est qu’un Pair de France sans Chambre ? Tu n’as pas seulement la plus petite commission où je puisse t’aller chercher ? Merci alors, tu es frais [3]. Voime, voime, comme cela vous monte l’imagination [4]. Taisez-vous et venez bien vite, cela vaudra bien mieux que de battre le pavé en faisant des mines aux grisettes [5] qui passent.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16365, f. 70-71
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) Il y a cinq points de suspension.
b) « au dépend ».
24 mars [1847], mercredi après-midi, 3 h. ½
Je t’attends, mon doux petit bien-aimé, me fiant à ta promesse : — Je vais revenir tout de suite. Ce tout de suite s’est déjà un peu bien prolongé mais j’espère toujours, tant ma confiance en vous persiste à toutes les épreuves que vous lui faites subir. Vous m’auriez faita faire exprès pour l’adage que vous savez que vous n’auriez pas aussi bien réussi. On n’est pas plus charmante, plus crédule et plus bonifaceb que cette Juju-là. Convenez-en, profond scélérat, et je vous pardonne tous vos crimes. Taisez-vous et venez tout de suite.
Demain j’irai vous chercher. Je ne vous demande pas à vous conduire parce que : la mairie, l’affaire de Charles, celle de Chaumontel réclament tous vos soins et tout votre temps et bien autre chose encore. Je sais cela et je n’en parle que pour mémoire, histoire de rire et de se ficher d’un Pair de France. Maintenant que c’est à peu près fait, je reprends mon sérieux et je vous prie de me dire si vous avez assez de ficelle comme ça car je n’en ai plus sur ma bobine, et qu’à moins de faire des lanières de ma seule et unique robe (ce qui ne me sera pas très difficile), force m’est de retirer à moi ma pêche miraculeuse ou non. Sur ce, baisez-moi et mordez un peu à mes appâts ou appaux, comme vous voudrez et votre dictionnaire aussi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16365, f. 72-73
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « faite ».
b) « bonniface ».