Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1847 > Février > 3

3 février [1847], mercredi matin, 9 h. ¼

Bonjour mon Toto, bonjour je t’aime. Voilà la nouvelle d’aujourd’hui, qui était celle d’hier, qui sera celle de demain et celle de mon dernier jour. Quant à mes occupations elles tournent toujours dans le même cercle avec une triste monotonie : je t’attends, je t’attends, je t’attends et je t’attends. Avec cela il est difficile d’espérer des incidents variés à moins de les inventer, ce qui serait pour moi plus qu’impossible vu l’état de ma mécanique qui n’est rien moins qu’en ordre. Mais toi, que fais-tu, mon Toto aimé, ou plutôt que ne fais-tu pas ? Autant ma vie est stagnante, autant la tienne est rapide et emportée à travers toutes les choses de ce monde comme un torrent. J’en suis effrayée quand j’y pense. Effrayée par ta santé qui finira par disparaître dans ce tourbillon d’occupations de toutes sortes. Effrayée pour mon bonheur que tu oublieras en chemin comme une chose inutile et gênante. Voilà, mon cher adoré, les tristes prévisions de mon esprit. C’est avec elles que je vis loin de toi, ce qui ne me rend pas la vie plus douce ni plus agréable hélas ! Cependant je sens la nécessité de me composer à tes yeux une sorte de résignation gracieuse. Je veux te sourire bon gré mal gré ne fût-cea que pour ne pas t’ennuyer de mes éternelles doléances. Mais le proverbe : chassez le naturel etc. me poursuit et me rattrapeb à chaque bout de ligne, ce qui fait de mes gribouillis un tout fort maussade et fort stupide.
Voyons cependant je veux être geaie. Attention Toto je crois que je deviens drôle. Hem ! Hem ! Hem ! Le tarif des douanes étant une question internationale, tu peux t’en assurer dans le moniteur industriel si tu ne me crois pas, il serait nécessaire que le traité d’Utrecht [1] fût respecté en ce qui touche les intérêts de la France et de l’Espagne. Sans toutefoisc abaisser notre pavillon national devant la perfide albion.
Hélas ! Toutes ces folâtreries ne sont même pas de mon cru. Elles sont toutes éditées déjà par la presse éloquente de mon pays. Ce qui fait que je n’ai pas la plus petite nouveauté drolatique à mettre en circulation quelque besoin que j’en sente et quelque envie que j’en aie. Il faut donc nous résigner toi et moi à notre malheureux sort. Cela te sera plus facile qu’à moi, c’est ce qui me console pour toi. En attendant, je fais vie qui dure [2] en t’aimant de mon mieux et en te désirant de toutes mes forces. Avec cela j’espère arriver à la fin de tout sans trop de découragement.

Juliette

MVH, α 7847
Transcription de Nicole Savy

a) « fusse ».
b) « rattrappe ».
c) « toute foi ».

Notes

[1Double traité signé en 1713 par la France et l’Angleterre, et mettant fin à la guerre de succession d’Espagne. Au moment où Juliette écrit, l’Entente cordiale connaissait de sérieux tiraillements avec réarmement intensif, naval en particulier, montée du nationalisme et rumeurs de guerre.

[2Vieux proverbe qui conseille de ménager sagement ses ressources pour les faire durer.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne