17 septembre [1846], jeudi soir, 10 h. ½
J’ai eu la visite de Mme Rivière et de sa petite fille un instant après que tu as été parti, mon doux adoré, elle venait de chez sa sœur Joséphine qui est malade comme tu sais. Elle s’en est allée très tard. Elle vient très rarement mais quand elle vient, elle ne sait pas s’en aller. Du reste bonne et excellente femme, une sainte, mais très peu amusante. C’est une fatalité attachée à presque toutes mes amies que l’insignifiance et la nullité de leur conversation, ce qui ne les empêche pas d’être les plus honnêtes et les meilleures femmes du monde, au contraire.
Eh ! bien mon Victor adoré, est-ce demain décidément que tu conduis ta famille à la campagne [1] ? M. Louis est-il venu ce soir et l’a-t-il permis ? Je sais qu’il le faut, je sens que c’est juste et nécessaire mais je n’en éprouve pas moins une grande tristesse et un grand ennui à l’avance. Je voudrais en reculer le moment indéfiniment si cela se pouvait sans nuire à personne et je voudrais surtout que cette journée et toutes celles que tu dois passer à Villequier soient déjà à l’état de souvenir, tant je les redoute. Je ne peux pas souffrir la pensée de te savoir loin de moi même pour si peu de temps. Je supporte mieux ton absence te sachant auprès de moi. C’est bête mais c’est ainsi. Que voulez-vous que j’y fasse, mon cher petit bien-aimé adoré ?
J’espérais que vous ne m’auriez pas laissé achever ce gribouillis et que j’aurais été forcée de vous demander crédit jusqu’à demain, mais je vois que je me suis trompée. Justement voici la sonnette du jardin. Dieu soit loué je vais donc vous voir et je ne vous devrai rien. Soir Toto, soir mon petit o, papa est bien i. Je te baise et je t’adore [illis.].
BnF, Mss, NAF 16364, f. 135-136
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette