1er septembre [1846], mardi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon Victor adoré, bonjour, mon bien-aimé, comment va ton enfant ? [1] Comment a-t-il passé la nuit ? Te demander de ses nouvelles c’est te demander des tiennes, mon pauvre doux aimé, car je sais ce qu’on souffre à voir souffrir son enfant [2]. J’attends 11 h. avec impatience pour savoir comment vous avez tous passé la nuit. Je regrette que tu n’aies pas permis d’y aller plus tôt car c’est bien long tous les jours d’attendre jusqu’à 11 h. pour savoir une chose qui me tient tant au cœur. Je respecte ta volonté en toute chose, mon Victor adoré, et je comprends à la rigueur que cela puisse déranger mais je dirai toujours que c’est bien longtemps d’ici à 11 h. Je voudrais ne pas ajouter à ton chagrin, mon adoré, par la confidence du mien et pourtant quand je pense à ce que j’ai de dévouement, de force et d’amour dans le cœur et à l’inutilité de ma vie, je me sens prise d’un découragement profond et amer qui me poussera à quelque mauvaise action, je le crains. Savoir que vous auriez besoin d’être secondés et assistés dans les soins affectueux et dévoués que vous donnez à votre cher enfant et ne pouvoir pas m’offrir, c’est une torture abominable et que je ressens autant que je t’aime. Je ne voulais pas te parler de cela et j’y suis poussée par une tristesse et un découragement inexprimables. Je te demande pardon, mon cher bien-aimé ! Je devrais ne pas t’occuper de moi dans ce moment-ci si ce n’est pour te dire que je prie pour vous tous et que tu es mon adoré bien-aimé.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16364, f. 89-90
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
1er septembre [1846], mardi après-midi, 2 h. ½
J’ai le cœur plein de tendresse et de pitié pour toi et pour toute ta chère famille, mon adoré. Je sens votre inquiétude et votre douleur comme vous la sentez vous-même et j’ai le cœur plein d’espoir malgré la gravité de la maladie de ton pauvre enfant. Tous les symptômes effrayants que vous voyez sont des symptômes ordinaires de cette affreuse maladie mais n’ajoutent rien à sa gravité. Ô je voudrais tant vous rassurer, je voudrais faire de la santé à votre enfant avec ma vie et de la joie pour vous tous avec mon âme. Vous ne savez pas tout ce qu’il y a de tendresse, de dévouement, d’abnégation et d’amour dans mon pauvre cœur si cruellement éprouvé il y a deux mois [3]. Ô mon Victor, mon cher Victor, que le bon Dieu t’épargne et qu’il prenne ma vie s’il le veut en échange. Je vais aller te chercher tout à l’heure, mon adoré, ce ne sera jamais moi qui perdrai volontairement une seule occasion d’être avec toi. Pauvre aimé, pauvre adoré, pauvre béni, pauvre ange, ma vie, mon âme, mais je m’aperçois que je suis déjà presque en retard à cause de ton marchand de raisin qui m’a retenue. Je me hâte de te baiser en pensée et en désirs pour être plus tôt avec toi et ne pas te faire attendre.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16364, f. 91-92
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette