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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 octobre [1846], dimanche après-midi, 3 h.

Je vous attends, mon Toto chéri, je suis sûre que depuis bientôt quatorze ans il n’y a pas un seul de mes gribouillis qui ne commence et ne finisse par ces mots sacramentels : je t’attends.
C’est passé à l’état chronique pour ma plume mais pour moi ces deux mots sont toujours aussi tristes et aussi douloureux quand je les écris que la première fois. Je ne peux pas m’habituer à ton absence. J’en souffre toujours comme au premier jour.
Je ne t’ai pas écrit ce matin parce que j’étais toute malingre ; depuis cela se dissipe au fur et à mesure que le temps s’éclaircit. S’il ne pleut pas d’ici à ce soir il est probable que mon mal de tête s’en ira tout à fait.
Cher adoré, j’accepte avec des transports de reconnaissance le sacrifice que tu m’offres en n’allant pas à cette exhibition d’art. Je ne tiens pas à ce que tu te perfectionnes dans les idées pieuses et morales. Je te trouve déjà trop pieux et trop moral sans études.
Aussi, mon Victor adoré, j’accepte ta proposition avec enthousiasme et je te supplie au nom de notre amour de ne pas revenir sur cette bonne et généreuse pensée. Il faut laisser toutes ces hautes vertus à ceux à qui elles appartiennent de droit et de fait et te contenter d’être ma joie, ma vie, mon bonheur, mon amour, mon culte, mon adoration et mon Dieu. Je sais bien que tu aimerais mieux l’autre chose mais sérieusement tu me ferais un affreux chagrin et tu ne le voudrais pas car tu es vraiment bon toi.
Depuis tantôt je suis la plus malheureuse des femmes avec ma cheminée. Dans ce moment-ci la fumée m’aveugle et m’étouffe. Même en ouvrant porte et fenêtre je ne peux pas parvenir à entrouvrir mes yeux et à reprendre ma respiration. Je désire que tu ne viennes pas à présent, mon pauvre ange, à cause de tes yeux. Mais ce n’est pas à craindre car depuis un moment la pluie tombe à torrents et je t’aime de même.
Sur ce trait d’esprit baisez-moi et soyez-moi bien fidèle, même des yeux. Je vous en supplie.

Juliette.

MVH, α 7804
Transcription de Nicole Savy

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