Paris, 27 mars 1880, samedi matin, 8 h.
J’espère, mon grand petit homme, que ta nuit a été meilleure que la mienne, ce qui n’est pas d’ailleurs bien difficile, pourvu seulement que tu n’aies pas souffert, et dormi quelques heures. Dans ce moment-ci même, j’ai pu t’embrasser tout bas, sans te réveiller. Le temps paraît se chagriner ce matin, et il n’y a pas le plus petit soleil pour rire, ce qui est assez triste. Mais il ne faut pas que cela t’empêche de te lever assez tôt pour pouvoir déjeuner avec nous. Le moyen d’attirer et de garder tes enfants [1], c’est que tu sois avec eux le plus souvent et le plus longtemps possible. Leur petite intelligence et leur petit cœur ont besoin du rayonnement continue de ta tendresse d’aïeul et de ton doux et sublime génie. Moi-même, toute vieille que je suis, j’ai besoin de réchauffer mon âme à ton ardente tendresse. J’espère que, malgré le froid, nous pourrons faire notre promenade tantôt. J’en ai le plus grand désir, reste à savoir si ma bête d’indisposition persistante ne s’y opposera pas. J’ai enfin l’adresse de M. Eugène Manuel et je vais lui envoyer ton invitation séance tenante. Je vais, en même temps, demander 2 500 kilos de charbon de terre pour lundi. Je te fais souvenir aussi que le huit avril, c’est-à-dire dans douze jours, tu auras à payer la traite de Rousselle montant à 2 917 F. 65 c. Je t’en préviens à l’avance pour que tu ne sois pas pris de court et je t’adore.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 86
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin