Paris, 25 février 1880, mercredi matin, cinquantième anniversaire d’Hernani, 7 h ½
Cher bien-aimé, pendant que tu tâches d’effacer les ennuis d’une longue nuit d’insomnie, la gloire d’Hernani monte au plus haut des cieux et ce soir elle sera visible à tous les yeux qui auronta l’honneur et le bonheur de la contempler à l’observatoire du Théâtre-Français. [1] De tous les passionnés de ton génie qui assisteront à cette apothéose étoilée, je serai certainement la plus favorisée puisque je la verrai, je l’admirerai et je l’adorerai dans ta personne vivante, sacrée et bénie. Je voudrais être déjà à demain pour savoir par le menu, comment s’est passéeb cette fête extra humaine.
Et puis demain ce sera notre grand grand jour, notre Noël, celui de ta naissance ! Celui qui depuis soixante-dix-huit ans est inscrit sur le calendrier divin du bon Dieu ! Quel bonheur de te fêter en famille avec tes deux chers petits enfants pour officiants et avec tout le groupe des fidèles, Paul Meurice, Vacquerie et tous les dévots à ton génie. Quant à moi, la gardienne du Saint des Saints, je te prierai de consacrer ce nouvel anniversaire dans mon précieux livre rouge par une ligne qui continuera celles écrites au même jour depuis quarante-sept ans par toi. [2] Cher adoré, je voudrais pouvoir t’ouvrir mon cœur comme un tabernacle et te montrer l’amour sublime qu’il renferme. Jamais homme n’a été et ne sera aimé par une femme sur la terre comme tu l’es par moi, et je sens que je t’aimerai de même et invinciblement au ciel, et pendant l’éternité, quelles quec soient d’ailleurs les épreuves auxquelles Dieu donnerait encore mon amour. Je te souris, je t’aime, je te bénis.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 58-59
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin
a) « aurons ».
b) « c’est passé ».
c) « quelques ».