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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 septembre [1845], lundi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon adoré petit Toto, comment vas-tu ce matin ? Comment m’aimes-tu ? Moi je vais bien et je t’aime de toutes mes forces. J’ai déjà fait ton eau pour les yeux et ton houblon est sur le feu. Je dis déjà fait parce que je me suis couchée à minuit hier et que je ne me suis pas levée si tôt que d’habitude. Quand tu viendras, ton houblon sera passé et froid. Aujourd’hui en sortant, je commanderai des petits paquets chez le pharmacien. Tout à l’heure j’écrirai à Brest. Je commence à croire que, non seulement ces braves gens n’ont pas reçu mes abricots, mais encore qu’ils sont malades, ce qui serait très malheureux de toute façon, après la perte de leur petit garçon et les maladies successives qu’ils ont euesa cette année [1].
Cher bien-aimé adoré, heureusement tu es guéri, toi. Je n’ai plus d’inquiétude de ce côté-là, Dieu merci. Pour fêter ta guérison, je compte sur vendredi et samedi prochain [2]. Ne va pas me manquer de parole, mon Victor chéri, car je crois que j’en serais malade sérieusement à mon tour. Tu sais depuis combien de temps je soupire après ces deux journées de bonheur ? Il m’est impossible maintenant d’attendre plus longtemps. Aussi j’y compte, j’y compte plus que sur le paradis dans lequel je n’entrerai probablement jamais. Tu dois revenir tantôt, j’espère que tu déjeuneras demain avec moi. Voilà bien des jours que tu me voles. Tu m’avais promis, qu’est-ce que tu ne promets pas, de faire tous tes déjeuners à la maison pendant le temps qu’on serait à Saint-James [3]. Quelle déception avec toutes les autres. Heureusement que j’ai mon vendredi et mon samedi pour me rabibocher, ce qui fait que je vous pardonne et que je vous baise bien fort.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 310-311
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « qu’ils ont eu ».


22 septembre [1845], lundi soir, 6 h. ½

Je rentre, mon bien-aimé, et je trouve ton petit mot [4] sur ma table. Mon premier mouvement a été de la joie, mon second de la tristesse, et puis enfin en me raisonnant beaucoup de la résignation puisque ce dernier sacrifice doit assurer deux jours [5] de bonheur ainsi que tu me le dis dans ton cher petit gribouillis presque illisible. Nous sommes parties de la maison à 9 h., mais si j’avais pu espérer te voir à quatre heures et même à cinq, je t’aurais attendu. Tu ne sais pas, tu ne peux pas savoir quelle joie c’est pour moi que de te voir rien qu’une minute, c’est encore de la suprême joie. J’ai vu, mon pauvre petit maladroit, que tu avais été chercher un tesson de verre caché dans les chaudrons pour boire ta tisanea tandis qu’il y en avait un sur la fontaine et un magasin dans l’armoire. Vous êtes un charmant petit bêtab, voila ce que vous êtes. Vous avez aussi laissé entrer Fouyou qu’on a trouvé tête [à tête] avec la Cocotte et cela au grand ébahissement de Suzanne qui ne comprenait pas comment Fouyou avait fait pour passer à travers le trou de la serrure. Ta lettre, que j’ai trouvée sur ma table, a fait cesser l’anxiété de Suzanne qui croyait déjà que son chat était un sorcier. Malgré l’heure avancée à laquelle nous sommes sorties, nous avons été au Jardin des Plantes. Les bêtes distinguées étaient déjà cachées, au moment où nous allions voir les singes. Nous avons rencontré Mme Rivière, ses trois filles, sa sœur Eulalie avec son amie, Mme [Lelyon  ?] et sa fille. Grande surprise et grande reconnaissance de part et d’autre. Je te conteraic cela en détailsd à la veillée. En attendant, je te dirai que j’ai refusé héroïquement d’aller manger une délirante soupe aux choux rue du Sabot, mais j’aurais craint ou de te contrarier, ou de t’inquiéter, ou surtout et par-dessus tout de manquer l’heure à laquelle tu viens le soir. Aussi j’ai refusé, mon adoré, mais ma vertu n’a pas trouvé sa récompense. Je compte beaucoup sur [mes deux  ?.] jours, sans cela je ferais une affreuse lippe d’ici là. Je te baise des millions de fois et je t’attends demain matin.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 312-313
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « ta tisanne ».
b) « petit bêtat ».
c) « je te compterai ».
d) « en détails ».

Notes

[1Gustave Koch, troisième fils de Renée et Louis Koch, né le 13 novembre 1837, est mort le 18 mai 1845. Puis leur fille aînée, Louise, a eu une angine.

[2Ils ne passeront qu’une seule journée ensemble. Le vendredi 26 septembre, Victor Hugo emmène Juliette Drouet faire un pèlerinage aux Metz, pour revoir la petite maison où elle avait séjourné à deux reprises en 1834 et 1835.

[3La famille de Victor Hugo est en vacances à Saint-James.

[4Victor Hugo écrit ces quelques mots à Juliette Drouet : « Mon doux ange, je sacrifie ce soir pour assurer nos deux jours. Je mène Charlot là-bas ( ?(. À demain matin. Quel regret de ne pas te trouver ! J’aurais tant voulu t’embrasser. / À demain, mon âme ! » (Massin, t. VII, p. 848).

[5Ils ne passeront qu’un seul jour, le 26 septembre, dans la vallée de la Bièvre, aux Metz.

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