20 juillet [1845], dimanche matin, 9 h. ¾
Bonjour, mon Toto aimé et adoré, bonjour, mon adoré petit homme, comment va ton cher petit bras ? Je t’attends avec impatience pour savoir si ce papier miton mitaine [1] t’a soulagé ou si ce n’est qu’une mystification. À propos de mystification, je viens de recevoir une lettre de mon beau-frère qui me demande ce qu’il y a de vrai dans les bruits qui circulent à Lorient et à Brest sur toi ? Il paraît, autant que je le puis voir sous la réserve qu’il met à me parler de cela, que c’est de la stupide histoire de Mlle Plessy dont il est question [2]. Je vais lui répondre tout de suite de se tranquilliser et de n’ajouter aucune foi aux histoires de toute nature qu’on se plaît à fabriquer sur toi. Comme ces pauvres gens sont très inquiets, je vais leur écrire tout de suite. Je ne comprends pas vraiment les gens qui inventent des histoires aussi peu vraisemblables que celles-là. Il faut que le goût du mensonge soit bien fort pour ne reculer devant aucune invraisemblance.
Je ne sais pas ce que le bon Dieu et toi me réservez, mais je sais que je ne supporterais jamais une trahison de toi et que ton indifférence me tuerait. Mon Victor adoré, tu sais bien que j’ai mis toute ma vie en toi sans me rien réserver. Tu sais aussi que jamais femme ne pourra t’aimer comme je t’aime. Tu en es bien convaincu, n’est-ce pas ? Je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16360, f. 53-54
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin, Blewer]
20 juillet [1845], dimanche après-midi, 4 h.
Mon cher petit Toto bien aimé, j’espère que tu n’es pas plus souffrant et que c’est ton travail seul qui te retient loin de moi ? Cependant je voudrais te voir pour en être plus sûre et pour t’embrasser une petite goutte. Est-ce que tu ne viendras pas bientôt ? Je suis encore seule avec ma Clairette mais peut-être que Mme Tissard et les petites Rivière viendront tout à l’heure, ce qui t’empêchera de rester avec moi, je le crains. Tandis que, si tu étais venu comme à l’ordinaire, tu aurais pu me donner un moment de joie. Pauvre amour, je te rabâche toujours la même chose et je sens que cela doit t’ennuyer au suprême degré. Mais aussi pourquoi ne viens-tu pas plus souvent et ne restes-tua pas davantage ? C’est ta faute. Tu n’as que ce que tu mérites, c’est bien fait, taisez-vous. Vous avez méprisé ma petite tasse, vous êtes une bête. Une autre fois je ne vous donnerai plus rien. Vous auriez dû l’emporter hier. Elle ne tient pas assez de place pour embarrasser et vous auriez très bien pu lui faire partager l’hospitalité que vous avez demandée à la chambre de Julie [3]. Je ne suis pas la dupe de vos délicatesses. Je vous en préviens. Aussi je ne suis pas contente. Je garderai ma tasse et je m’en licherai les barbes à votre nez de pair de France. Je ne suis pas si difficile, moi. Il est vrai que je n’en ai pas le droit comme vous. Je n’ai que celui de vous aimer et d’enrager depuis le matin jusqu’au soir et Dieu sait si j’en use. Baisez-moi, monstre d’homme, et venez tout de suite me baiser et je vous pardonnerai toutes vos impertinences déguisées. Je vous attends, dépêchez-vous, dépêchez-vous !
Juliette
BnF, Mss, NAF 16360, f. 55-56
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « ne reste-tu ».