16 juillet [1845], mercredi matin, 9 h.
Bonjour, mon petit Toto chéri, bonjour, mon petit homme bien aimé, bonjour, ma joie, comment vas-tu ? Tes fraises ne t’ont pas fait mal cette nuit ? J’espère que non. Je ne voudrais pas, en cherchant à te faire du bien, te faire du mal. Ce ne serait pas mon compte. Et à ce sujet, je vous dirai que je retiens votre bonne volonté pour ce soir avant votre collation. Il n’a fallu rien moins que la crainte de vous faire faire une mauvaise digestion pour m’empêcher d’accueillir votre proposition avec des cris d’enthousiasme. Ce n’est que partie remise, du moins de mon côté. À ce soir donc les grandes illuminations et le feu d’artifice.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o. Je vous ai eu de la très belle lavande. Vous en avez pour trente sous et moi autant. Je ne gagne pas sur vous, je vous assure. Je le devrais mais je ne le fais pas. Aussi serais-je toujours pauvre maisonnette [1]. Je compte sur le prix Montyona [2] pour me rabibocher de tout ce que ma probité incomprise m’a fait perdre. En attendant, je vous attends, ce qui n’est pas non plus tout [illis.]. J’ai envoyé chez Varin ce matin à 5 h. ½ du matin croyant qu’il en était six et demie. La portière n’a pas été flettée [3] de cette erreur matinale mais je m’en fiche, pourvu qu’elle n’oublie pas de lui remettre ta lettre cependant. Demain je conduirai donc ma péronnelle à l’Hôtel de Ville. Je ne voudrais pas me faire connaître à MM. Varin et Dumouchel s’ilsb y étaient. Cela m’embarrasserait. À moins que tu ne voies quelque avantagec pour ma fille à me faire connaître d’eux, je garderai l’incognito. Tu me diras cela tantôt. D’ici là je te baise bien fort.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16360, f. 43-44
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « Monthyon ».
b) « si ils ».
c) « quelqu’avantage ».
16 juillet [1845], mercredi après-midi, 3 h. ¾
Je t’attends, mon Victor adoré, avec le plus de courage et de résignation que je peux trouver dans mon cœur. Puisse ma vertu être récompensée tout de suite par une bonne petite visite de toi. Mais je n’ose pas y compter. Ton bottier est venu. Je l’ai payé mais j’ai été obligée de prendre 10 francs dans le sac. Il ne me reste plus un sou et je n’ai pas encore payé le frotteur [4] parce que je m’étais trompée de date et que son mois n’échoita qu’aujourd’hui. Je n’ai pas non plus acheté de vinaigre de table parce qu’il n’était pas encore fait. Enfin je n’ai plus le sou. Voilà ce qui est vrai. Il est vrai aussi que j’ai payé Suzanne et que c’est aujourd’hui la blanchisseuse que je paierai également. Tous ces détails sont charmants et doivent te monter beaucoup l’imagination [5]. Je ne te les fais qu’à mon cœur défendant et parce que je ne peux pas faire autrement. Dieu sait que j’aimerais mieux autre chose mais je n’ai pas le choix. Si tu pouvais penser à m’apporter ton parapluie pour demain, je crois que ce ne serait pas une précaution inutile.
Mon cher petit Toto chéri, mes gribouillis se ressentent de l’espèce d’ennui de l’âme que j’ai. Cela ne peut pas être autrement et tu ne peux pas m’en vouloir. Si je t’aimais moins, je serais moins triste et moins absorbée dans le désir et le besoin de te voir, et j’aurais probablement plus de liberté d’esprit. Te voici justement.
5 h. ¼
Je finis ma lettre pendant que tu es encore ici. Je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16360, f. 45-46
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « n’échoie ».