Guernesey, 11 avril 1860, mercredi matin, 8 h.
Bonjour, mon cher petit homme adoré, bonjour. Si tu as bien dormi et si tu te portes bien ce matin, je remercie le bon Dieu de m’avoir misea au monde depuis déjà trop longtemps, hélas ! Dans quelques vingt ans d’ici, quand nos deux existences seront encore plus enlacées l’une à l’autre ce sera une coquetterie et un orgueil pour moi de [révéler ?] mon âge dans toute sa sincère vérité. Aujourd’hui je fais semblant de ne pas voir ce pauvre anniversaire [1] de ma pauvre naissance, ne le trouvant plus assez jeune pour lui sourire ni encore assez vénérable pour le saluer avec respect. Tout ce que je peux faire c’est de lui donner ce petit signe de reconnaissance aujourd’hui. Ton hôte [2] me paraît avoir un temps à souhait aujourd’hui pour aller à Jersey. Il n’y a pas de vent et suffisamment de soleil. J’espère que Mme Chenay aura la même chance demain. Mais ce qui m’inquiète c’est la solitude RELATIVE qui va se faire à Hauteville-house pour un petit peu de temps puisque les Meurice et Vacquerie ne doivent venir que dans un mois. Après cela c’est bien vite passé surtout dans cette saison. Et puis, mon cher adoré, si tu as besoin de prendre sur ma part de bonheur et de soleil pour donner à ta famille j’y consens de grand cœur pour t’épargner l’ombre d’une tristesse ou d’un déplaisir. Je ne suis au monde que pour t’aimer de toute mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 78
Transcription de Claire Villanueva
[Souchon]
a) « mis ».