Guernesey, 11 mars 1860, dimanche matin, 9 h. ½
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, comment as-tu passé la nuit ? Bien j’espère, ce qui remplace pour moi ce matin le rayon de soleil absent. Quant à moi j’ai très bien dormi, je vais très bien, et je t’aime à cœur joie. Je regrette de ne savoir pas mieux te le dire, mon pauvre adoré, et je suis bien triste de la monotone pauvreté de mes gribouillis ; mais si l’esprit me manque, l’amour ne me manque pas et de ce côté-là, du moins, je ne crains aucune comparaison humiliante. Je suis bien contente que la réconciliation de ton Charles avec sa petite tante [1] soit un fait accompli et qu’il n’y ait plus autour de toi qu’affection et concorde. Cher bien-aimé, j’ai besoin de te savoir heureux pour être heureuse et il faut que tu m’aimes pour que je vive.
Sais-tu que le projet d’un petit voyage en Sardaigne serait bien charmant à exécuter ? Le peu que tu en as dit hier à Mlle Loisel m’en a fait venir le bonheur à la bouche. Il y a si longtemps que cela ne nous est arrivé, un VRAI voyage, que je me figure que cela n’est plus possible maintenant surtout avec la maison que tu as sur les bras. Aussi si jamais ce projet se réalisait, quel bonheur !!!!!!!!!! Jusque-là je me contente très bien de la vie côte à côte avec toi ici et même je pourrais dire que je ne désire vraiment rien autre que passer ma vie auprès de toi n’importe où, dans quelle circonstance que ce soit pourvu que tu m’aimes ; tu es ma vie, ma joie, mon bonheur, mon tout.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 47
Transcription de Claire Villanueva