Guernesey, 3 mars 1860, samedi matin, 8 h.
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, je vous aime bissextilement [1], mon cœur et mon âme étant d’accord en cela avec l’almanach. J’ai eu beau tenir ma fenêtre ouverte hier au soir plus longtemps que de coutume pour vous envoyer mon bonsoir je n’ai pas pu en trouver l’occasion, quoi que vous fassiez dans votre lucoot force a été de me coucher toute penaude et de garder mon bonsoir et mon baiser nocturne dans le cœur et je les y retrouve encore ce matin avec cette variante du bonjour à la place du bonsoir. Mais tout cela ne me dit pas comment tu as passé la nuit, mon cher adoré, et c’est pourtant ce qui m’intéresse le plus. Quant à moi j’ai presque bien dormi et je me sens des jambes à courir jusqu’au bout du monde avec toi. J’espère que le temps nous permettra au moins de faire notre petite promenade dans la montagne tantôt quand tu auras lu tes lettres et tes journaux. Jusque-là je m’empêche de faire mes quinze tours et de bâcler MON MÉNAGE pour être prête à tout moment. Vous, pendant ce temps-là, ne soyez pas trop triste du départ prochain de votre marquise sans étoiles [2], il en reviendra d’autres, gardez-vous d’en douter. En attendant je vous adore comme une femme du commun que je suis.
Juliette.
BnF, Mss, NAF 16381, f. 40
Transcription de Claire Villanueva