Guernesey, 14 mai 1859, samedi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, bon jour, beau jour, bonheur autant que vous en pourrez désirer, et que vous en pourrez porter aujourd’hui.
Avez-vous bien dormi, mon cher adoré ? Vous devez être content car vous avez reçu une bonne petite lettre bien tendre de votre bon Charlot vous annonçant la bonne traversée et vous dénonçant sourdement l’ennui qui le travaille déjà loin de vous, le centre rayonnant des vraies joies de ce monde. Quant à moi, j’ai l’infamiea de ne pas le plaindre et même de m’en réjouir. Cela apprendra à tous ces beaux oiseaux à discuter votre colombier sublime pour aller chercher plaisir ailleurs. Cependant, je ne pousse pas l’amour de la justice et de la morale jusqu’à leur souhaiter entièrement le sort du fameux pigeon voyageur revenant « demi-mort et demi-boiteux ; traînant l’aile et tirant le pied » [1] mais guéris tous tant qu’ils sont, de la manie du changement. Manie que je ne déplore que parce que cela te fait souffrir chaque fois qu’on s’y livre et sans aucune espèce de bénéfice pour tout ce cher groupe-là.
Pardonb, mon adoré, de me mêler de ce qui ne me regarde qu’à travers toi ; Dieu sait que c’est par excès de tendresse et d’amour pour toi que je voudrais te savoir heureux dans ceux et par ceux que tu aimes avec tant d’adoration et tant de dévouement. Juliette.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16380, f. 128
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette
a) « infâmie ».
b) « pardons ».