5 mai 1859

Guernesey, 5 mai 1859, jeudi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon cher bien-aimé ; bonjour, mon pauvre grand fourvoyé dans le petit tas d’imbéciles bourgeois qui se croit démocratique parce qu’il est jaloux, envieux, ignorant, grossier, perfide et stupide. Je suis toujours très étonnée et très indignée chaque fois que ces^a incongruités ineptes se produisent chez moi. Aussi tu me rendrais un véritable service en ne te prêtant pas à cette familiarité (qui n’est pas l’égalité et encore moins la fraternité), mais qui est le despotisme brutal de la matière organisée sur le génie ailé et divin. Il me semble qu’à ta place je n’accepterais jamais de conversation d’aucune sorte avec ces BUSES humaines mal apprivoisées. Tout au plus leur permettrais^b-je avec moi quelques gloussements^c monosyllabiques^d d’heure en heure. Cela suffirait de reste au besoin de leur intelligence et te dispenserait de semer les perles de ta parole dans le fumier infécond de l’ignorance, de la bêtise et de la mauvaise foi. Cher adoré, pardonne-moi ce gribouillis TONNANT plus qu’étonnant, en raison du respect, de la vénération, de l’admiration et de l’adoration que j’ai pour toi comme proscrit, comme poète, comme citoyen, comme homme, comme génie, comme martyr.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16380, f. 119
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette

a) « ses ».
b) « permettrai ».
c) « glousements ».
d) « monossyllabiques ».