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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 février [1844], dimanche matin, 10 h. ¼

Bonjour, mon Toto adoré, bonjour mon cher amour. Bonjour, bonjour, je t’aime avec ton nez de tapir fouillant dans les broussailles. Je t’aime quoique tu sois plus vieux que le déluge qui l’était beaucoup si on en croit les cancans de ce temps-là. Je voudrais bien savoir si vous m’aimez un peu de votre côté et si ce pauvre Charlot a obtenu une commutation de peine [1] ? Je serais très fâchée qu’on lui tînt rigueur jusqu’à le priver de son dimanche gras [2]. Ce pauvre Charlot, cela me ferait une peine extraordinaire et très sérieuse.
Moi j’ai ma péronnelle [3] que le mal de tête ne quitte pas. Cette pauvre enfant tiendra de moi pour cela car depuis que j’ai l’âge de connaissance, j’ai toujours eu mal à la tête. J’aurais mieux aimé lui laisser autre chose de plus drôle et même ne rien lui laisser du tout. Dites-donc mon petit Toto, est-ce que vous ne me graisserez pas mes jours, si peu gras, d’un peu de bonheur en souvenir d’un certain mardi de ma connaissance [4] ? Je voudrais pourtant bien savoir quel goût vous avez depuis si longtemps que vous ne m’en avez donné. S’il m’en souvient, il ne m’en souvient guère. En attendant j’ai très faim et très soif de vous et je suis capable de vous mordre à même si vous ne vous dépêchez pas de m’en donner un peu.
Jour Toto, jour mon cher petit o , je vous défends d’avoir mal à mes pauvres beaux yeux d’aigle ou sinon j’irai veiller avec vous dans votre capharnaüm. Prenez garde à vous parce que je le ferais comme je le dis et une fois entrée, je n’en sortirais plus.
Sur ce, baisez-moi et venez vite baigner vos beaux yeux que j’aime et que j’adore et aimez-moi un peu ou je vous tue.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 189-190
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette


18 février [1844], dimanche après-midi, 4 h. ¼

Comment, mon Toto, pas même pour le dimanche gras [5] vous ne donnez pas un pauvre petit quart d’heure à votre Juju ! Je trouve cela fort bête pour ne pas dire plus. Vous finirez par m’exaspérer et par me faire sortir de ma tanièrea comme un loup enragé. En attendant, il est probable que vous êtes allé vous faire intriguer comme un intrigantb que vous êtes. Prenez garde qu’à la faveur d’un nez, plus ou moins cartonné, je ne vous tombe sur la carcasse et vous verrez de quel bois je me chauffe.
Taisez-vous vilain, vous dites toujours la même chose, vous n’aurez qu’un sou. À propos de sou je défends à Théophile Gautier, lorsqu’il l’est comme hier, de vous faire des tas de blagues que vous prenez au sérieux sur la beauté de votre nez de tapir fouillant dans les broussailles et sur votre fascination à l’endroit des femmes. Tout cela n’est qu’une mystification dont votre vin d’écarlate et votre fatuité ont fait tous les frais.
Si je n’étais pas si généreuse, je pourrais vous crier le cri sacramental de la saison : à la chienlit, lit, lit [6] ! Vous le méritez bien mais je suis généreuse et je vous pardonne à la condition que vous ne serez plus aussi crédule à l’avenir et que vous ne croirez que moi. Baisez-moi, scélérat.

[Jutielle ?]

BnF, Mss, NAF 16354, f. 191-192
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « tannière ».
b) « intriguant ».

Notes

[1Victor Hugo a puni son fils quelques jours plus tôt pour un motif inconnu.

[2Le dimanche gras est un carnaval populaire parisien, où se mêlent dans les rues de Paris les artistes et le peuple. Pour cette occasion, le jeune Charles possède un costume d’éléphant.

[3Claire Pradier, sa fille.

[4Les deux amants commémorent chaque année la nuit du 16 au 17 février mais aussi le mardi gras autre souvenir de leur amour naissant. Le mardi 19 février 1833, Hugo renonça à se rendre au bal organisé au Théâtre du Gymnase pour rester avec Juliette.

[5Le dimanche gras est un carnaval populaire parisien, où se mêlent dans les rues les artistes et le peuple. Pour cette occasion, le jeune Charles possède un costume d’éléphant.

[6La chienlit est une mascarade populaire désordonnée et outrancière. Le cri « À la chienlit ! » s’adressait aux personnages masqués qui couraient dans les rues.

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