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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er novembre 1843

1er novembre [1843], mercredi matin, 10 h. ¼

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, ma vie, bonjour, ma joie, bonjour, mon âme. Comment vas-tu ce matin ? Moi, ma douleur est à son poste, c’est à peine si je peux respirer. Mais, dès que je serai levée, et que j’aurai fait quelques tours dans ma chambre, je n’y penserai plus. Malheureusement il n’en est pas la même chose pour toi. Si ta douleur persiste je te mettrai ton sinapismea mais il faudra que tu dînes moins tard qu’hier, mon cher cher adoré.
Je viens de finir mes comptes. J’ai un déficit de trente-cinq sous mais je ne te les rendrai pas, tant pire pour toi. J’ai écrit mon linge et ma dépense. Me voilà au pair pour aujourd’hui. Je vais tâcher de prendre sur moi de finir le voyage et puis je m’occuperai de tes manuscrits, en commençant par ceux qui m’appartiennent, afin que, si je les gâte, le mal soit moins grand. Pourvu que j’aie de ta jolie petite écriture à lire et à baiser, peu m’importe comment elle est ficelée. Cependant, j’y mettrai tous mes soins et ce ne sera pas de ma faute si je ne réussis pour les miens comme pour les tiens. Le menuisier a rapporté les cadres, je ne sais pas encore combien il prendra. Je vais le faire venir pour la cheminée.
En attendant, il faut que je me dépêche de me lever car j’ai encore bien des triquemaques à faire dans ma maison aujourd’hui.
Je ne sais pas quand vous tiendrez votre promesse de venir toutes les nuits, mon cher adoré, mais je sais que je vous désire de toutes mes forces et de toute mon âme. Jour Toto, jour mon cher petit o. Je vous aime, je vous aime, je vous aime. Apportez-moi votre épaule que je la soigne et votre belle bouche que je la baise et toute votre ravissante petite personne que je l’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 1-2
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « cinapisme ».


1er novembre [1843], mercredi soir, 4 h. ½

Je regrette, mon Toto chéri, de n’avoir pas été suffisamment prête pour profiter avec toi de cette belle soirée. Mais c’est que vraiment je sors à peine de tous les arias [1] que tu sais et j’ai à peine eu le temps de m’organiser. Tout cela n’empêche pas que je ne regrette amèrement maintenant de t’avoir laissé partir sans moi. Une autrefois, dans quelque état que je sois, quel que soit mon peu de goût pour les sorties de jour, je profiterai de l’occasion d’être avec toi. Je suis très triste d’avoir manqué celle-ci et si j’avais pu recourir après toi je serais allée te rejoindre avant que tu n’aies eu tourné le coin de ma rue. Je suis punie par où j’ai péché. Je n’ai pas le droit de me plaindre mais j’ose de celui d’en souffrir et d’avoir des regrets très cuisants. Tu as bien fait de profiter de cette belle soirée mon pauvre amour et je suis plus que bête de n’en avoir pas profité avec toi. Si on pouvait se battre soi-même je me serais déjà donné une volée atroce. Enfin il faut croire qu’il y a bien de stupidité et de la méchanceté en moi pour me pousser à faire des choses si contraires à mon désir et à mon bonheur. Mon pauvre Victor bien-aimé je suis triste à plaindre dans ce moment-ci quoique je le mérite peu en apparence. Je t’aime mon Victor, voilà ce qui est trop sûr.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 3-4
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Arias : tracas, occupations.

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