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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 octobre [1842], jeudi soir, 6 h. ¾

Voici le triste train-train quotidien revenu à son point de départ, mon adoré, sans avoir amassé beaucoup de bonheur dans l’intervalle car depuis deux ans, Dieu sait que je suis à la portion congrue de cette espère de denrée. Enfin, quoi qu’il en soit, je n’en regrette pas moins ces rares instants de bonheur très mitigés que je ne regrette les deux mois d’amour ineffables que nous passions ensemble autrefois [1]. Le bonheur en parcelle est aussi précieux pour le cœur qui aime que le bonheur en lingot seulement on est plus ou moins heureux selon qu’on en a davantage et à ce compte tu ne peux pas t’étonner si je me plains d’en avoir eu si peu depuis deux ans.
J’ai été bien violente tantôt, mon Toto, et je t’en demande un million de fois pardon. J’espère que cela ne m’arrivera plus ? J’ai toutes les raisons du monde pour le redouter autant que toi car outre le mal atroce que je me fais, je sens que je te suis odieuse dans ces moments là, ce qui porte mon exaspération au comble et m’enferme ainsi dans un cercle vicieux dont je ne sortirai un jour que folle ou morte.
Tout cela n’est rien moins que gai, mon pauvre amour, et n’est pas fait pour t’attirer à la maison, je ne le sens que trop, hélas !, mais qu’y faire ? T’aimer ? Mon Dieu, si l’amour y pouvait quelque chose, rien de ce qui nous attriste n’arriverait car il est impossible, même aux anges, d’aimer le bon Dieu comme je t’aime. Il n’y a donc rien à faire et voilà ce qui me décourage et ce qui me désespère, mon pauvre cher bien-aimé.
Tu as été tantôt, ce que tu es toujours, la patience et la douceur mêmesa. Merci mon pauvre adoré, merci du fond de l’âme mon Toto chéri. Si tu peux ajouter à ta bonne action de ce matin de venir dîner avec moi tout à l’heure, alors tout sera effacé et je serai aussi joyeuse que je suis triste, j’aurai autant de courage que j’en ai peu dans ce moment-ci et je serai très GEAIE. Cela dépend de toi. En attendant, mon cher amour, je pense à toi, je t’aime et je me repends de ma folie et je t’en demande encore pardon !

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 171-172
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) « même ».

Notes

[1Juliette fait référence au voyage annuel qu’elle faisait tous les ans en compagnie de Victor Hugo et qui n’a pas eu lieu en 1841 ni en 1842.

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