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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 février [1837], jeudi, 9 h. ½ du matin

Bonjour mon cher adoré, bonjour.
Je ne t’ai jamais plus aimé que ce matin. Tu es mon vrai, mon grand, mon noble Toto, tu es ce qu’il y a de plus généreux et de plus sublime au monde.
J’ai le regret de t’annoncer que j’ai une petite rechute de ma maladie que je [déciderai ?] peut être enfin à prendre un caractère déterminé.
Je souffre beaucoup plus que ces jours passés et j’ai la langue couverte de petits boutons jusque dans le fond de la gorge, ce qui la rend on ne peut plus douloureuse.
Heureusement que je puis te dire que je t’aime sans recourir à elle.
Je me suis même exercée hier au soir à un petit travail pour pouvoir t’écrire la seule chose importante de ma vie : je t’aime sans le secours des yeux. Ainsi je suis bien tranquille de ce côté là. Je pense mon petit Toto que si vous aviez eu l’honnêteté de me lire votre Charité [1] depuis deux jours, je serais guérie à présent. Et moi je vous dis que vous n’avez de charité que dans votre poche. Empocheza cette dure vérité et venez vous faire baiser le plus tôt possible.
J’ai là votre image sous les yeux, ce n’est pas elle qui contribuera à me faire rabattre l’admiration que j’ai pour vos talents si variés. Je n’ai jamais rien vu de si parfaitement bien inventé et de si bien exécuté que ce petit dessin. Vous êtes un grand architecte et un grand peintre mon grand Toto, pourquoi n’êtes vous pas aussi un grand amoureux, vous seriez parfait et complet tandis que vous n’êtes que mon Toto adoré.
C’est cette nuit le fameux anniversaire. Rien n’y manquera, pas même la maladie. J’espère que de votre côté vous serez au grand complet.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 167-168
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette

a) « empocher ».


16 février [1837], jeudi soir, 6 h. ½

Pour ce soir, mon cher adoré, j’ai retrouvé des forces et de la santé. Je n’ai pas eu besoin de retrouver l’ardeur de mon premier amour car je ne l’avais pas perdue ; il me semble que c’est hier seulement que je t’ai reçu pour la première fois dans mes bras, que j’ai senti tes étreintes et ton cœur battre sur le mien [2].
Cependant mon cher adoré bien des chagrins et bien des joies ont passéa sur nous depuis cette nuit-là, mais rien n’a pas effacer ni diminuer le souvenir de cette première nuit de bonheur. C’est que je t’aime d’un amour sans égal. Je t’aime mieux que je ne vis, car chaque jour emporte de ma jeunesse, de ma force et de ma santé, au lieu que chaque jour je sens augmenterb mon amour de tout ce que je perds en avantage du corps : c’est que je sens que mon amour doit survivre à toi et à moi. Je sens bien que je dois t’aimer quelqu’autre part que dans cette vie, je ne sais pas bien où, mais je suis sûre que j’ai de l’amour pour toute l’éternité de nos deux âmes.
Mon cher adoré tu m’as fait une bien grande joie en me faisant ce joli petit dessin pour ce soir [3], mais tu me feras un grand bonheur et dont le souvenir restera toujours présent si tu me lis ce soir : la Charité. Je suis sûre qu’une aussi admirable chose entendue dans un moment aussi intéressant de ma vie me portera bonheur pour tout le reste de l’année. Et puis enfin si tu voulais me combler et me faire croire que toi aussi, tu n’as rien perdu de l’amour que tu as eu pour moi il y a quatre ans tu m’écrirais une bonne petite lettre que je baiserais toute ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 169-170
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Pouchain, Massin]

a) « passés ».
b) « augmenté ».


16 février, jeudi soir, 6 h. ¾ 1837

Je ne suis pas aussi avare que vous, moi. Je vous écris tant que je peux, quoique cependant j’aie très mal à la tête et que sois à la diète la plus absolue. Mais je vous aime, moi, comme une vraie dératée tandis que vous... vous m’aimez aussi mais d’un amour plus sobre et plus tranquille que le mien. Lequel vaut le mieux ? Le vôtre, quand c’est moi qui vous ennuie de mes tendresses sans fin, mais moi j’aimerais mieux le mien dans vous car je ne me lasserais jamais ni de vos baisers, ni de vos caresses, ni de vos lettres quand même vous m’écririez tous les jours et depuis le matin jusqu’au soir, en admettant que vous soyez tout aussi spirituel que moi, et que vous soyez de même force sur l’ortographe... Vous voyez que je ne vous flatte pas. Eh ! bien je vous dis que je passerais mes jours et mes nuits à lire vos lettres et à vous répondre si vous m’en laissiez le temps.
Je comprends à la rigueur que vous ne soyez pas aussi fort que moi à ce jeu là. C’est un avantage que j’ai sur vous et que j’aurai toujours, je le crains.
Je suis décidée à vous le pardonner si vous m’écrivez une bonne petite lettre aujourd’hui du 16 au 17 février 1837, et si vous me lisez ce soir vos beaux vers dont je me suis déjà liché les barbes, rien qu’en les flairant dans votre chapeau. À cette condition je vous pardonne tous vos trimes depuis quatre ans et je m’humilie devant vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 171-172
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette
[Pouchain]


16 février [1837], jeudi soir, 8 h. ½

Enfin, la voilà, ta bonne lettre adoréea, ta bonne lettre attendue, ta chère petite lettre tant désirée la voilà [4]. La voilà, je l’ai là, dans mes doigts, sous mes yeux, dans mon cœur. Partout où on peut la toucher, la lire, la respirer, la humer, je l’ai fait. Bonne petite lettre chérie, chère petite lettre de mon Victor bien aimé, te voilà. Tu as déjà pris ta place sur mon cœur et dans mon cœur pour n’en sortir jamais. Te voilà. Tu es bien bonne, bien ravissante et bien consolante et pleine d’indulgence comme celui qui t’envoie, tu es la bien venue comme il est le bien aimé et le bien adoré.
Je ne mérite pas tous les éloges que tu donnes à ma conduite depuis quatre ans, mais je les accepte tous en échange de mon amour qui est ma seule force et ma seule vertu en ce monde.
Merci, merci, toi, chère petite flatteuse, vous faites même les commissions qu’on ne vous donne pas à faire. C’est vous qui avez pris en chemin, sous votre bonnet que : j’étais jolie, que j’étais rose, patati, patata et autres absurdités que ni vous ni moi ne croyons, Dieu merci. Mais c’est égal, je vous pardonne vos inventions en faveur des autres bonnes choses que vous m’apportez de lui. Mais n’y revenez pas si vous tenez à n’être pas mangée et rongée en mille morceaux par les baisers d’indignation que je ne manquerai pas de vous donner.
Cher petitb homme adoré, je l’ai ta bonne lettre et bientôt je t’aurai aussi et bientôt tu pourras juger comme je t’aime et comme je suis heureuse et comme tu n’as jamais cessé d’être ma joie, mon bonheur, ma vie et mon âme.
Nous ne compterons pas les baisers ce soir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 173-174
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Pouchain]

a) « adoré ».
b) « chère petite ».

Notes

[1Hugo publie fin février, sous le titre La Charité. Fragments, une partie du 5e poème des Voix intérieures, Dieu est toujours là, écrit le 11 février 1837. La plaquette de seize pages, éditée à l’Imprimerie Henri Dupuy, est vendue au profit des pauvres du 10e arrondissement.

[2Anniversaire de leur première nuit, le 16 février 1833.

[3Gérard Pouchain, avec l’aide de Pierre Georgel identifie ce dessin : « Fantaisies orientales », t. XVIII, n° 495.

[4Dans cette lettre d’anniversaire datée du 16 février 1837, Victor la félicite du courage dont elle a fait preuve depuis quatre ans. « […] C’est une grande joie de sentir que dans ces quatre années tout le mauvais est parti et tout le bon est resté. Tu as été pleine de courage, de résignation et de vertu. Tu as eu la force d’un homme sans perdre la douceur d’une femme. / Espérons, pauvre amie, que l’avenir te récompensera. […] Pour moi le17 février, c’est le 1er janvier, c’est un commencement, c’est une aurore. Tu t’es levée sur ma vie ce jour-là. […] » (édition de Gérard Pouchain, Cinquante ans de lettres d’amour, édition citée, p. 34).

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