22 avril 1837, samedi matin, 11 h. ¼
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour mon noble et généreux homme [1], ce n’est point un plagiat, c’est le cri le plus sincère de mon cœur. Oui tu es pour moi plus qu’un amant, tu es un ange qui m’empêche de tomber au fond des mauvaises habitudes que l’absence de toute éducation a creusé devant moi. Je te bénis autant que je t’aime. Hier, quand tu as été parti et que j’ai relu tes vers [2], je me suis mise à pleurer de regret et d’admirationa sans pouvoir me retenir. J’aurais voulu baiser tes pieds. Ô bien sûr, cela ne m’arrivera plus de t’affliger ou de te déplaire volontairement ! Je t’aime trop et j’ai trop besoin de ton amour pour m’y exposer de nouveau. Pauvre cher bien-aimé, malgré tes yeux malades, tu as encore travaillé cette nuit car tu n’es pas venu ce matin et c’est pour moi un indice certain. Pourvu que tu n’ailles pas au-delà de tes forces, pourvu que tu ne tombes pas malade. J’y perdrai du bonheur mais au moins je n’aurai pas l’affreux tourment de penser que tu souffres loin de moi. Prends bien soin de toi, mon cher bien-aimé, je t’en prie, je t’en prie du fond de l’âme. Il fait un temps bien affreux encore aujourd’hui et le vent qui rabat dans ma cheminée m’empêchera d’allumer du feu, j’aime mieux cela que d’avoir la fumée d’hier, [d’abord ?] nos yeux n’y tiendraient pas. Je n’ai toujours aucune nouvelle de Mme Lanvin. Attendons encore. Je t’aime mon Victor bien-aimé, je t’aime de toutes mes forces.
Juliette
BnF, Mss, NAF, 16330, f. 77-78
Transcription de Chantal Brière
a) « amiration ».