BnF, Mss, NAF 16324, f. 190-191

Jeudi soir, 8 h. ½

Méchant garnement, vous n’êtes pas venu ce soir au risque de me faire bien du chagrin et de me trouver morte ni plus ni moins, car j’ai eu deux accès de toux qui ont manqué^a m’étrangler. Tout cela sous prétexte que vous faites^b de la mauvaise littérature car vous ne vous doutez pas que vous êtes passé et surpassé par un petit maître pas plus haut que le doigt qui vient de faire et de mettre au jour :
un enfant qui tombe dans l’eau.
un petit garçon gourmand.
un homme malheureux.
Mon avis, après avoir lu^c ces chefs-d’œuvre des chefs-d’œuvre, est que vous n’avez plus qu’à vous pendre à mon cou^d pour tout tripotage.
M^me Guérard m’a quittée environ une demi-heure^e après toi en me menaçant de venir demain dîner avec moi. Elle prétend en outre que tu la mèneras^f à un spectacle quelconque. Je l’ai déjà prévenue qu’elle comptait sans son autre [1], M^me Lanvin à dîner ainsi que son mari. Et puis voilà toutes les nouvelles pour aujourd’hui. Moi, je vais me coucher parce que je n’en peux plus. J’ai la poitrine et la gorge dans un piteux état. Si tu voulais me guérir, il ne tiendrait qu’à toi mais tu ne le veux pas, tu restes^g chez toi. Aussi pour t’apprendre, je m’en vais devenir muette tout à fait et je ne te dirai plus rien, pas même je t’aime que je sens si bien.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16324, f. 190-191
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « manqués ».
b) « faite ».
c) « lue ».
d) « coup ».
e) « une demie heure ».
f) « mènera ».
g) « reste ».